XXIe siècle. Il y a 140 ans, Jules Ferry luttait contre les inégalités. Selon lui, elles empêchaient la démocratie de vaincre un ancien régime de castes et de privilèges sourdement persistant dans la société issue de la Révolution française. Il a choisi le socle qui selon lui fondait toutes les inégalités : l’éducation.
L’égalité d’éducation était pour lui le fondement de la mixité, dans ses deux acceptions : mixité sociale et mixité de genres. On peut aujourd’hui y ajouter la mixité « ethnique » (en 1870, en pleine expansion de la France coloniale, elle n’était pas d’actualité…)
L’égalité d’éducation, Jules Ferry l’a réclamée pour toutes les classes sociales. Et aussi pour les deux sexes. 80 ans après la Déclaration des Droits de l’Homme, il allait falloir plus de dix années pour faire admettre cette égalité et cette mixité.
Jules Ferry, “De l’égalité de l’éducation”, conférence populaire du 10 avril 1870
(N)ous sommes un grand siècle à la condition de bien connaître quelle est l’œuvre, quelle est la mission, quel est le devoir de notre siècle. Le siècle dernier et le commencement de celui-ci ont anéanti les privilèges de la propriété, les privilèges et la distinction des classes ; l’œuvre de notre temps n’est pas assurément plus difficile. A coup sûr, elle nécessitera de moindres orages, elle exigera de moins douloureux sacrifices ; c’est une œuvre pacifique, c’est une œuvre généreuse, et je la définis ainsi : faire disparaître la dernière, la plus redoutable des inégalités qui viennent de la naissance, l’inégalité d’éducation. (…)
L’inégalité d’éducation est, en effet, un des résultats les plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance. Avec l’inégalité d’éducation, je vous défie d’ avoir jamais l’égalité des droits, non l’égalité théorique, mais l’égalité réelle, et l’égalité des droits est pourtant le fond même et l’essence de la démocratie.
Faisons une hypothèse et prenons la situation dans un de ses termes extrêmes : supposons que celui qui naît pauvre naisse nécessairement et fatalement ignorant; je sais bien que c’est là une hypothèse, et que l’instinct humanitaire et les institutions sociales, même celles du passé, ont toujours empêché cette extrémité de se produire ; il y a toujours eu dans tous les temps, – il faut le dire à l’honneur de l’humanité, – il y a toujours eu quelques moyens d’enseignement plus ou moins organisés, pour celui qui était né pauvre, sans ressources, sans capital. Mais, puisque nous sommes dans la philosophie de la question, nous pouvons supposer un état de choses où la fatalité de l’ignorance s’ajouterait nécessairement à la fatalité de la pauvreté, et telle serait, en effet, la conséquence logique, inévitable d’une situation dans laquelle la science serait le privilège exclusif de la fortune. Or, savez-vous, messieurs, comment s’appelle, dans l’histoire de l’humanité, cette situation extrême ? c’est le régime des castes. Le régime des castes faisait de la science l’apanage exclusif de certaines classes. Et si la société moderne n’avisait pas à séparer l’éducation, la science, de la fortune, c’est-à-dire du hasard de la naissance, elle retournerait tout simplement au régime des castes.
A un autre point de vue, l’inégalité d’éducation est le plus grand obstacle que puisse rencontrer la création de mœurs vraiment démocratiques. Cette création s’opère sous nos yeux ; c’est déjà l’œuvre d’aujourd’hui, ce sera surtout l’œuvre de demain ; elle consiste essentiellement à remplacer les relations d’inférieur à supérieur sur lesquelles le monde a vécu pendant tant de siècles, par des rapports d’égalité. Ici, je m’explique et je sollicite toute l’attention de mon bienveillant auditoire. Je ne viens pas prêcher je ne sais quel nivellement absolu des conditions sociales qui supprimerait dans la société les rapports de commandement et d’obéissance. Non, je ne les supprime pas : je les modifie. Les sociétés anciennes admettaient que l’humanité fût divisée en deux classes : ceux qui commandent et ceux qui obéissent; tandis que la notion du commandement et de l’obéissance qui convient à une société démocratique comme la nôtre, est celle-ci : il y a toujours, sans doute, des hommes qui commandent, d’autres hommes qui obéissent, mais le commandement et l’obéissance sont alternatifs, et c’est à chacun à son tour de commander et d’obéir. (Applaudissements.)
Voilà la grande distinction entre les sociétés démocratiques et celles qui ne le sont pas. Ce que j’appelle le commandement démocratique ne consiste donc plus dans la distinction de l’inférieur et du supérieur ; il n’y a plus ni inférieur ni supérieur ; il y a deux hommes égaux qui contractent ensemble, et alors, dans le maître et dans le serviteur, vous n’apercevez plus que deux contractants ayant chacun leurs droits précis, limités et prévus ; chacun leurs devoirs, et, par conséquent, chacun leur dignité. (Applaudissements répétés.)
Voilà ce que doit être un jour la société moderne ; mais, – et c’est ainsi que je reviens à mon sujet, – pour que ces mœurs égales dont nous apercevons l’aurore, s’établissent, pour que la réforme démocratique se propage dans le monde, quelle est la première condition ? C’est qu’une certaine éducation soit donnée à celui qu’on appelait autrefois un inférieur, à celui qu’on appelle encore un ouvrier, de façon à lui inspirer ou à lui rendre le sentiment de sa dignité ; et, puisque c’est un contrat qui règle les positions respectives, il faut au moins qu’il puisse être compris des deux parties. (Nombreux applaudissements.)
Enfin, dans une société qui s’est donné pour tâche de fonder la liberté, il y a une grande nécessité de supprimer les distinctions de classes. Je vous le demande, de bonne foi, à vous tous qui êtes ici et qui avez reçu des degrés d’éducation divers, je vous demande si, en réalité, dans la société actuelle, il n’y a plus de distinction de classes ? Je dis qu’il en existe encore ; il y en a une qui est fondamentale, et d’autant plus difficile à déraciner que c’est la distinction entre ceux qui ont reçu l’éducation et ceux qui ne l’ont point reçue. Or, messieurs, je vous défie de faire jamais de ces deux classes une nation égalitaire, une nation animée de cet esprit d’ensemble et de cette confraternité d’idées qui font la force des vraies démocraties, si, entre ces deux classes, il n’y a pas eu le premier rapprochement, la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur les bancs de quelque école. (Applaudissements )
(…) (R)éclamer l’égalité d’éducation pour toutes les classes, ce n’est faire que la moitié de l’œuvre, que la moitié du nécessaire, que la moitié de ce qui est dû ; cette égalité, je la réclame, je la revendique pour les deux sexes, et c’est ce côté de la question que je veux parcourir maintenant en peu de mots. La difficulté, l’obstacle ici n’est pas dans la dépense, il est dans les mœurs ; il est, avant toutes choses, dans un mauvais sentiment masculin. Il existe dans le monde deux sortes d’orgueil : l’orgueil de la classe et l’orgueil du sexe ; celui-ci beaucoup plus mauvais, beaucoup plus persistant, beaucoup plus farouche que l’autre ; cet orgueil masculin, ce sentiment de la supériorité masculine est dans un grand nombre d’esprits, et dans beaucoup qui ne l’avouent pas ; il se glisse dans les meilleures âmes, et l’on peut dire qu’il est enfoui dans les replis les plus profonds de notre coeur. Oui, messieurs, faisons notre confession; dans le cœur des meilleurs d’entre nous, il y a un sultan (rires nombreux) ; et c’est surtout des Français que cela est vrai. Je n’oserais pas le dire, si, depuis bien longtemps, les moralistes qui nous observent, qui ont analysé notre caractère, n’avaient écrit qu’en France il y a toujours, sous les dehors de la galanterie la plus exquise, un secret mépris de l’homme pour la femme. C’est vraiment là un trait du caractère français, c’est un je ne sais quoi de fatuité que les plus civilisés d’entre nous portent en eux-mêmes : tranchons le mot, c’est l’orgueil du mâle (rires). Voilà un premier obstacle à l’égalisation des conditions d’enseignement pour les deux sexes.
Il en existe un second, qui n’est pas moins grave, et celui-là, il vient de vous, mesdames, car cette opinion qu’ont les hommes de leur supériorité intellectuelle, c’est vous qui l’encouragez tous les jours, c’est vous qui la ratifiez (rires). Oui… oui, mesdames, je le sais, vous la ratifiez, vous êtes sur ce point-là en plébiscite perpétuel. (Applaudissements et rires.)
Vous acceptez ce que j’appellerai, non pas votre servitude, mais, pour prendre un mot très juste, qui est celui de Stuart Mill, vous acceptez cet assujettissement de la femme qui se fonde sur son infériorité intellectuelle, et on vous l’a tant répété, et vous l’avez tant entendu dire, que vous avez fini par le croire. Eh bien, vous avez tort, mesdames, croyez-moi, et, si nous en avions le temps, je vous le prouverais.
Aujourd’hui, il y a une lutte sourde, mais persistante entre la société d’autrefois, l’ancien régime avec son édifice de regrets, de croyances et d’institutions qui n’acceptent pas la démocratie moderne, et la société qui procède de la Révolution française ; il y a parmi nous un ancien régime toujours persistant, actif, et quand cette lutte, qui est le fond même de l’anarchie moderne, quand cette lutte intime sera finie, la lutte politique sera terminée du même coup. Or, dans ce combat, la femme ne peut pas être neutre.
Vraiment,personnellement je remercie Jules Ferry,avec tout ce courage intéllectuel qui meriterait á cette époque des prix de nobels.Toutes ses explications sont actuellement valables pour la démocratie Africaine aussi.
Cheikh Oumar Diamanka
Jules Ferry a accomplit de grandes choses à n’en pas douter, pour autant il ne faut pas le sublimer : il serait bien de nuancer cette éloge en notant que Jules Ferry était un ardent défenseur de la politique coloniale (faite d’inégalités dans les pays concernés entre indigènes et colons) mais surtout que l’éducation des filles sous la IIIe République visait AVANT TOUT à former des mères capables d’éduquer des citoyens et non pas des intellectuelles.
Jules Ferry et l’égalité parfaite des personnes et surtout des genres .. J’ai du mal à y croire !
François Bu