Depuis l'abandon du titre par LVMH, et malgré des tentatives de relance, La Tribune connaît des difficultés financières. Le journal est actuellement en procédure de sauvegarde. Le tribunal de commerce statuera sur son sort le 19 janvier prochain.
Aussitôt paru,
aussitôt démenti par le PDG d'EDF, M. Proglio :
"EDF n'a pas l'intention d'abandonner l'EPR, les équipes sont pleinement mobilisées" sur Flamanville et à l'international,
"l'EPR est un atout et une formidable opportunité de développement"...
Et les sanctions de suivre : "le 14 novembre, la direction de La Tribune est informée par Euro RSCG (Havas), l'agence de publicité d'EDF, que l'électricien 'souhaite annuler toutes ses communications dans La Tribune jusqu'à la fin de l'année du fait de l'article paru dans le quotidien'", nous dit Libération. "EDF aurait même fait savoir qu'il ne souhaitait 'plus être présent dans le titre'."
Une campagne annuelle en cours annulée, avec manque à gagner de 80.000 € (?) pour La Tribune, selon le journal.
La presse est prise en sandwich entre la nécessité d'informer ses lecteurs, et celle d'assurer sa survie en louant ses espaces publicitaires. Les deux sont apparemment inconciliables pour EDF.
Il faut dire que la situation n'est pas facile pour EDF et AREVA : avec deux chantiers en cours dont les coûts ont explosé, et les retards accumulés. Le chantier finlandais d'Olkiluoto, qui devait être achevé en 2009, ne devrait être mis en service à pleine puissance qu'au deuxième semestre 2013. Et déjà
TVO a qu'il était possible que cette mise en service n'intervienne qu'en 2014. L'impact financier de ce nouveau retard n'est pas encore connu.
EDF et son PDG, M. Proglio, font donc feu de tout bois :
Ensuite en prenant des sanctions financières contre LA TRIBUNE pour un article trop incisif.
C'est aussi EDF et AREVA qui interviennent dans les accords politiques, selon
mediapart.
"[...] Deux sources socialistes ayant participé aux négociations nous ont confirmé que le texte a été volontairement «trappé» durant le BN socialiste. Et d'expliquer qu'il s'agirait d'une intervention forte téléguidée par Henri Proglio, président d'EDF, et acteur de pointe du lobby nucléaire. «Nous avons tous reçu des textos en plein BN, nous demandant de retirer le texte. On n'a pas réussi à se mettre d'accord, donc on a retiré le paragraphe à la hussarde, après le vote…»
Henri Proglio affirmera n'être «absolument pas intervenu de quelque manière que ce soit dans la rédaction du programme EELV/PS.
C'est une dépêche AFP qui indiquera qu'Areva reconnaît «avoir appelé le responsable socialiste Bernard Cazeneuve, porte-parole de François Hollande, et député-maire de Cherbourg-Octeville, pour lui faire part "des conséquences économiques, sociales, industrielles, environnementales très graves, qui conduiraient aussi à la disparition du leadership de la France dans le nucléaire civil"». (source
mediapart)
Et c'est l'accord EELV/PS qui est mis en danger pour caviardage au sujet du chapitre concernant le traitement du MOX.
EDF nous doit plus que la lumière. Plus que la lumière... la transparence ?
Les déclarations de M. Proglio dans l’interview publiée le 9 novembre 2011 dans Le Parisien appellent des réponses détaillées. Le patron d’EDF n’hésite pas à déformer la réalité et à manipuler les chiffres pour défendre une énergie à l’agonie. Le débat sur l’avenir énergétique de la France mérite mieux que cela.
1. Concernant les emplois et le nucléaire
M. Proglio agite la crainte de la perte d’emploi par des mensonges objectivement indéfendables. C’est la transition énergétique avec sortie du nucléaire qui est source d’emplois (+ 500 000 emplois nets au moins), pas l’inverse.
Le Parisien titre : « Sortie du nucléaire : ‘un million d’emplois mis en péril’ selon le PDG d’EDF ».
M. Proglio affirme en effet :
« une telle décision [sortir du nucléaire, ndlr] menacerait 400.000 emplois directs et indirects de la filière nucléaire, 500.000 emplois dans les entreprises actuellement localisées en France et très gourmandes en énergie, comme l’aluminium, qui risquerait de partir à l’étranger. Il faut y ajouter 100.000 emplois futurs provenant du développement du nucléaire mondial à partir de la France. Au total, 1 million d’emplois seraient mis en péril et cela coûterait entre 0,5 et 1 point de PIB. Rien de tout cela n’est inimaginable. »
M. Proglio annonce 1 million d’emplois perdus, en mélangeant emplois nucléaires directs, indirects et induits, emplois industriels, hypothétiques emplois futurs pour le développement à l’étranger.
1.1. Emplois nucléaires directs, indirects et induits
D’après une étude du cabinet PriceWaterhouse réalisé pour AREVA, voici la structure de l’emploi relative au nucléaire en France :
Emplois directs (Activité spécialisée dans le nucléaire) |
125.000 |
Emplois indirects (Sous-traitants) |
114.000 |
Emplois induits (Dépenses des employés du nucléaire (directs et indirects) créant une fraction d'emploi) |
171.000 |
Total |
410.000 |
- en France, 239 000 personnes sont employées directement et indirectement dans la filière nucléaire (qui représente 75% de la production d’électricité) ;
- en Allemagne, les énergies renouvelables électriques représentent déjà aujourd’hui 370.000 emplois directs et indirects (pour une part de 20% de la production d’électricité).
|
Production 2010 (GWh) |
Emplois |
Ratio Emploi/GWh |
Nucléaire France |
428 000 |
239 000 |
0.6 |
Renouvelables Allemagne |
103 000 |
370 000 |
3.6 |
M. Proglio trouve une potentielle destruction de « 500 000 emplois » à cause d’une augmentation du prix de l’énergie.
De manière plus générale, la transition énergétique (avec sortie progressive du nucléaire et des énergies fossiles) créera bien plus d’emplois qu’elle n’en détruirait (cf. infra). Les difficultés de reconversion des employés du nucléaire sont également réduites pour deux raisons :
Il ne s’agit en aucun cas de « tuer » la filière nucléaire. Même en cas de sortie, celle-ci aura encore pour longtemps besoin de nombreux emplois qualifiés, que ce soit pour l’exploitation et la maintenance ou encore pour le développement d’un pôle d’excellence en matière de gestion des déchets et de démantèlement des réacteurs. Cette excellence, d’ailleurs, sera prisée au niveau international tant l’expertise manque crucialement.
Au-delà des chiffres, il faut s’interroger sur
la nature des emplois du nucléaire.
La transition énergétique créerait de manière nette au minimum plus de 500 000 emplois d’ici 2020 :
- de l’ordre de 300 000 emplois dans la rénovation du bâti (hypothèse de 900 000 logements rénovés par an en 2020) ;
- au moins 300 000 emplois dans les énergies renouvelables (en 2020 : 40% d’électricité renouvelable et 40% de chaleur renouvelable) .
2. Sur le « coût » des scénarios électriques
M. Proglio affirme qu’« En France, cela [la sortie du nucléaire, ndlr] impliquerait aussi un investissement de 400 milliards d’euros pour remplacer le parc existant par des moyens de production alternatifs, ce qui se traduirait par un doublement de la facture d’électricité. »
2.1. Investissements
toutes les études prospectives – y compris celles pilotées par le lobby nucléaire – montrent
qu’il faudra investir à peu près autant pour le maintien que pour la sortie du nucléaire. Selon les études, la différence entre les deux cas de figure varie peu dans un sens ou dans l’autre (+ ou - 25%).
En revanche, l’incertitude liée au coût du nucléaire est bien plus importante que l’incertitude liée aux EnR, sans évoquer le risque d’un accident majeur et les dégâts humains, matériels et environnementaux associés.
La sortie du nucléaire de l’Allemagne (ou de la France) va-t-elle conduire à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre ? M. Proglio affirme « D’abord, cela augmenterait probablement de 50% les émissions de gaz à effet de serre à cause de l’utilisation du charbon, du gaz et du pétrole pour remplacer le nucléaire. C’est ce que fait l’Allemagne. »
Le coût actuel estimé de l’EPR a été revu à la hausse, pour un total de 6 Mds€ aujourd’hui, dont environ 3 Mds€ resteraient à dépenser. On remarquera que M. Proglio ne s’engage pas à ce qu’il n’y ait pas de nouvelle augmentation et ne donne aucun élément chiffré sur cette question.
CONCLUSION
EELV demande que le débat relatif à l’avenir énergétique de la France soit enfin mené : d’autres stratégies que celle des écologistes peuvent être envisagées et débattues.
En revanche, il est impossible de construire un échange démocratique serein et éclairé dès lors que l’une des parties s’autorise à manipuler les données.
EELV appelle la presse à jouer son rôle de vérification des faits afin de permettre l’émergence d’une discussion constructive sur l’avenir énergétique, environnemental, économique et social de la France et de l’Europe.
"[...] une telle décision menacerait 400.000 emplois directs et indirects de la filière nucléaire, 500.000 emplois dans les entreprises actuellement localisées en France et très gourmandes en énergie, comme l’aluminium, qui risquerait de partir à l’étranger. Il faut y ajouter 100.000 emplois futurs provenant du développement du nucléaire mondial à partir de la France. Au total, 1 million d’emplois seraient mis en péril et cela coûterait entre 0,5 et 1 point de PIB. Rien de tout cela n’est inimaginable. Techniquement, c’est faisable et on peut très bien choisir de le faire, voilà ce que cela impliquerait."
Denis Baupin et Hélène Gassin, élus Europe Ecologie Les Verts, lui répondent :
La fébrilité du lobby nucléaire franchit un nouveau stade. Dernier exemple en date, l'édition du 9 novembre du Parisien donne une tribune au patron d'EDF. Jamais avare d'approximations, M. Proglio avance des chiffres sans commune mesure avec la réalité et les études existantes. Il prétend ainsi qu'un million d'emplois seraient condamnés par une sortie du nucléaire. Plus c'est gros...
Rétablissons la vérité des chiffres: le nucléaire aujourd'hui en France, c'est 100.000 emplois directs et 300.000 emplois indirects, soit 400.000 emplois, chiffre cité par le patron d'EDF. Mais en plus, M. Proglio invente 500.000 délocalisations d'emplois sorties du chapeau et qui ne sont étayées par aucune démonstration ou étude sérieuse. Pour faire bonne figure, il ajoute 100.000 «futurs» emplois à l'export qui ne seraient pas créés, sans doute pour atteindre le chiffre symbolique du million.
Ce que montrent les exemples étrangers de sortie du nucléaire est strictement inverse. D'une part, les emplois directs seront préservés sur une longue période dans le cadre d'une sortie progressive du nucléaire. Il y a un avenir pour les salariés du nucléaire dans une hypothèse de sortie: il faudra gérer les centrales en fin de vie, démanteler le parc, garantir la sécurité des installations et de l'héritage radioactif que la politique énergétique française passée et actuelle lègue pour des milliers d'années, et notamment traiter et stocker les déchets. Or cela nécessite non seulement de préserver les emplois, mais aussi de former de nouveaux salariés.
D'autre part, et l'exemple allemand le prouve largement, sortir du nucléaire, c'est entrer dans une économie d'efficacité énergétique, et faire émerger enfin des modes de production d'énergie réellement respectueux de l'environnement. Et cela représente la bagatelle de 600.000 emplois à créer, dans la filière des énergies renouvelables et du bâtiment notamment. Donc, en regardant la réalité en face, sortir du nucléaire, c'est créer de l'emploi en France, qui plus est non délocalisable !
Reconnaissons malgré tout à M. Proglio l'honnêteté d'avouer implicitement que le modèle nucléaire dépérissant un peu partout dans le monde, les hypothèses largement surévaluées de création de 100.000 emplois pour l'exportation atomique se révèlent totalement caduques. La responsabilité n'en revient pas aux seuls écologistes, mais aussi aux gouvernements et peuples du monde entier qui ont tiré les leçons de Fukushima. Il y a par contre un domaine où la France pourrait encore devenir leader mondial si elle le décidait, celui de la constitution d'une filière d'excellence dans le démantèlement.
La seule véritable démonstration de cet entretien est qu'EDF n'a pas anticipé les changements mondiaux. De nombreux pays dans le monde, comme nos plus proches voisins, ont décidé de sortir du nucléaire. Ils vont en connaître les bénéfices pour leur développement industriel et la dynamique de l'emploi localement. Le train du développement énergétique soutenable pour la planète a commencé à avancer sans nous, et plutôt que de chercher à le rattraper, les nucléocrates de tout bord veulent nous faire rester à quai. Il n'est pas trop tard pour nous tourner vers l'avenir.
Denis Baupin (EELV), maire adjoint de Paris chargé du développement durable, de l'environnement et du plan climat
Hélène Gassin (EELV), vice-présidente de la région Île-de-France chargée de l'environnement, de l'agriculture et de l'énergie.