Accueil > geek > HADOPI ! Protection des droits d’auteurs ou guerre industrielle ?
La bataille fait rage depuis plusieurs mois, et on en est aux combats à la baïonnette dans les tranchées.
A la stratégie et aux commandes : les industriels de la culture et des media traditionnels contre les industriels de la communication et de l’internet. Il s’agit de redéfinir qui gérera la collecte et la redistributions des droits (euros, dollars, pepettes, vous traduisez comme vous voulez).
Dans les tranchées, au bout de la baïonnette : les artistes contre les internautes. Les méchants internautes pillent les oeuvres des artistes, et leur procurent une moins value que les artistes, par la voix de Pascal Nègre, de la Sacem, et des producteurs cinématographiques, estiment aux alentours de 1 milliard d’euros (!). Une estimation « à la louche » des recettes qui auraient été générées si les internautes avaient acheté tout ce qu’ils ont téléchargé…
Les médiateurs restent pour l’instant les politiques, mais quels politiques ? Hommes politiques ou partis politiques ?
Vos ordinateurs. Enfin, pas vraiment : en fait, ce sont plutôt vos intimités et vos habitudes (ou déviances) de consommation qui seront épiées, analysées; et, si vous faites des écarts, vos comportements pourront être sanctionnés. Ce sont les liaisons entre votre box (livebox, neuf box, freebox, etc) et la toile qui seront analysées. Au final, votre accès à l’internet ne sera plus une sphère privée, mais on pourra aller voir ce que vous y faites (Ce que vous y lisez ? Achetez ? Echangez ? Avec qui ?…).
Pour l’industrie culturelle, il s’agit de peser de tout son poids pour prendre sa part de gâteau dans le business internet. A force de vouloir à tout prix rester derrière les remparts que représentent les ventes de supports plastiques (CD,DVD,…), l’industrie culturelle a pris un retard énorme dans la vente en ligne. Google, Apple, et autres géants (entre autres les FAI – fournisseurs d’accès internet) ont pris les devants, et … le marché. Apple, avec son itunes store, a vendu des milliards de titres, au prix moyen de 0,99 euro, et est en tête des ventes de musique en ligne partout dans le monde.
Et surtout, les habitudes ont changé : cela vient de moins en moins à l’esprit d’insérer la galette en plastique dans le lecteur DVD quand on dispose d’une médiathèque personnelle, dont on se sert de plus en plus pour écouter la musique au salon, sur son ipod, son téléphone, son pc portable, et de plus en plus dans la voiture… Sans trimbaler des valises de CD. Le CD, le support magique qui a détrôné le vinyle, est devenu rébarbatif, encombrant, fragile, euh… moche.
A force de ne pas risquer de bouleverser un peu plus un marché qui basculait déjà vers la dématérialisation, les majors ont préféré une position de repli qui leur a permis jusque là d’assurer d’encore gros bénéfices. Mais les habitudes et le confort sont là : c’est pour leur survie que ces majors doivent se battre, et le CD n’a plus que peu de temps à vivre. Il faut alors attaquer les média dématérialisés pour s’arroger une partie de droits. Car ces majors sont bien mal armées pour affronter les primo-arrivants…
Bien sûr, le téléchargement illégal ne gêne pas que les majors : d’autres acteurs sont concernés, comme les chaînes de télévision qui y voient un concurrent impitoyable : on peut télécharger des séries (la manne aujourd’hui), et pour la France, avant même qu’elles ne soient disponibles à la TV. Le tout sans publicité, sans horaires, et en qualité HD. Tu as raté un épisode ? Hop tu le télécharges. Et d’épisode en épisode…
Avant c’était plus clair, il y avait la télé d’un côté, reliée ou non à une chaîne hifi, et de l’autre un ordinateur. Et si tu regardais une vidéo, le plaisir n’y était pas vraiment. Maintenant que les écrans plats sont de plus en plus reliés à des PC, qui deviennent de plus en plus des media center, ce n’est plus pareil. Les chaînes françaises ou européennes seront-elles concurrentielles sur un marché accaparé par les séries américaines ? Aujourd’hui, la VOD reste un marché émergent. Question d’habitude… Mais les chaînes françaises et européennes sauront-elles s’y adapter à temps ?
Pour les internautes, qui sont avant tout citoyens, les télécommunications, internet et l’informatique ont bouleversé les comportements. En ce qui concerne la musique ou les films, qui sont principalement concernés par HADOPI, l’utilisation n’a jamais été plus simple qu’aujourd’hui : là où cela prenait plus d’une heure pour faire une cassette audio il y a 15 ans, les utilisateurs peuvent aujourd’hui créer leur playlist en quelques instants, et la synchroniser sur leur baladeur (allez, disons ipod…) ou leur téléphone en quelques secondes.
Ce n’est pas la révolution qui avait apporté la musique à la maison, avec le gramophone, puis ses déclinaisons au fil de l’évolution des supports, vinyls, cassettes, baladeurs, cds, pour la musique; et cassettes puis DVD pour le cinéma.
Mais il n’a jamais été aussi facile qu’aujourd’hui d’emporter sa médiathèque partout où l’on va. Et jamais il n’a été aussi facile de trouver de la musique ou des films !
On ne va plus dans une fnac bondée le samedi après-midi, ou dans un magasin de location de vidéos, avec un choix limité.
Sur internet c’est pléthore ! On n’y trouve pas un vaste choix, on y trouve TOUTE la musique ! Pas seulement sur les catalogues iTunes, Universal Music, Sony, BMG, amazon ou autres, mais partout sur internet : dans les pages mySpace, les sites, blogs, web radios, et les lecteurs online, deezer, lastfm, spotify, wormee… et bien sûr les téléchargements, légaux ou illégaux !
Et ce ne sont plus seulement les radios ou les magazines qui font la promos des artistes et des albums, mais aussi les artistes eux-mêmes, et leurs fans !
Avec tout ça, quel intérêt reste-t-il au CD, le produit vedette des majors ? On l’enregistre sur un disque dur, puis on l’oublie… ou alors on passe directement au numérique dématérialisé.
Et cela engendre évidemment des bouleversements dans le métier des majors : là où elles proposaient un package complet aux artistes, de l’enregistrement jusqu’à la mise en bac, en passant par le marketing, le packaging et le graphisme, en assurant la redistribution des revenus, il faut réinventer complètement le métier aujourd’hui.
Si l’enregistrement ne change pas, la mise en bacs est comme la calotte glaciaire de l’hémisphère nord, elle fond jusqu’à la disparition annoncée. La mise en bacs aujourd’hui, c’est la mise en ligne.
Le marketing aussi change : il faut buzzer, faire du marketing viral, établir de nouvelles relations avec les blogueurs et influenceurs du net, en plus du marketing traditionnel auprès des radios, magazines, télés et sites web, et d’une participation accrue dans les concerts et les festivals,…
C’est clair qu’il y aura de gros remous dans le métier !
Pendant tout ce temps où cette industrie n’a pas osé encore se bouleverser elle-même, les compagnies IT prennent la place, et des accords avec des majors pour l’accès à leurs catalogues. Mais même cela n’est-il pas en train de changer ? Ces compagnies qui assurent aujourd’hui la diffusion ne vont-elles pas venir marcher sur les plates-bandes des majors ?
Il en est de même pour le cinéma où l’on n’attend pas plusieurs mois la sortie du DVD pour voir ou revoir le film qu’on vient de voir en salle, ou qu’on a loupé. Evidemment, avec les superbes home-cinémas qui équipent les foyers, la concurrence est rude. Mais la rénovation des salles a su enrayer la désaffection des cinémas, en offrant un accueil et un spectacle qui relègue le home-cinéma à sa place de simple remplaçant du tube cathodique. 2008 a vu ainsi augmenter la fréquentation des salles de +6,2% par rapport à 2007. Et c’est un résultat supérieur au niveau moyen des 10 dernières années (source CNC, télécharger le communiqué de presse (pdf)).
Le cinéma s’en est donc sorti plutôt bien, grâce notamment à la transformation des salles. L’image et le son sont (re)devenus spectaculaires grâce au passage au numérique. Celui-ci garantit une qualité irréprochable, des effets stupéfiants (par exemple le relief), et une diffusion plus large. Cerise sur le gâteau, l’accueil et les services se sont améliorés (sauf peut-être le bruit du pop-corn et la tolérance des téléphones portables).
Par contre la diffusion tardive des DVD ne laisse pas le choix à celui qui veut voir le film, alors qu’il est disponible en téléchargement illégal (même s’ils restent souvent de mauvaise qualité pour des films trop récents).
Alors plutôt que changer les modes de distribution, la réponse est là : Haro sur le P2P !
Mais là, on veut la peau du P2P ! Parce que emule et bittorrent l’utilisent. Il représente un danger immédiat, sans regarder ce qu’il peut apporter.
C’est la première fois que je vois une telle incompréhension entre les artistes et leurs fans. Les artistes voient des voleurs dans ceux qui les écoutent, et de l’autre côté, l’incompréhension est aussi totale : des gens qui apprécient et respectent ces artistes qu’ils téléchargent ne voient pas pourquoi cette vindicte à leur égard. On écoute ce (et ceux) qu’on aime, et si oui, il faut rétribuer, ce n’est pas toujours facile.
Lorsque j’étais jeune, je m’achetais un disque tous les 15 jours, en me saignant aux 4 veines. Et j’arrivais à avoir une collection de plusieurs dizaines de disques… aujourd’hui, les mêmes jeunes (ou moins jeunes) ont la possibilité d’écouter tout, même s’ils n’achètent qu’à l’occasion. Et oui cet achat est un acte d’amour. Et si les artistes ne sont pas tous riches, il en est de même pour les internautes !
Bien sûr on peut aller écouter légalement en streaming une chanson à condition de consulter en même temps une publicité pour les jeux en ligne, mais on ne peut pas écouter cette même chanson en streaming sur l’ipod sur la route du lycée ! Enfin oui, on peut… il suffit d’utiliser une application permettra d’enregistrer les MP3 à partir des lecteurs en streaming ! C’est pas bien mais ça existe, et c’est facile comme tout à installer et à utiliser.
Oui, les artistes méritent une rétribution pour leurs créations au titre des droits d’auteur, et pour leurs prestations. Et à notre respect et notre amour. Et le respect et l’amour ça se partage (pour le meilleur et pour le pire :) )
Tout n’est peut-être pas aussi tranché non plus ! Il y a des artistes qui réclament HADOPI et d’autres qui s’y opposent.
La Sacem promeut l’appel des artistes de gauche qui en appellent au PS pour voter HADOPI. Pourtant dans cet appel, c’est le pillage par les FAI qui est dénoncé, pas celui des internautes !
“En vous opposant, à l’occasion de la loi “Création et Internet”, à ce que des règles s’imposent aux opérateurs de télécommunications (comme vous les aviez imposées naguère aux opérateurs de télévision et de radio) pour qu’ils cessent de piller la création, vous venez de tourner le dos de manière fracassante à cette histoire commune.” (voir la lettre complète sur pcinpact : Lettre ouverte : des artistes de gauche attaquent le PS)
Là, nous n’en sommes plus à un problème moral entre internautes et artistes, mais nous sommes au coeur d’une bataille qui confronte les majors aux FAI. Ce sont les FAI qui sont accusées de piller la création ! Les internautes ne sont-ils que la caution morale d’une guerre industrielle ? Les internautes sont pourtant clients des uns comme des autres… Alors FAI pilleurs ou complices ? Ou concurrents redoutables !.. Et si les artistes ont appris à travailler avec les majors ou la Sacem, et à trouver des accords pour la répartition des revenus, il n’en n’est pas de même pour les FAI et compagnies IT. Représentent-ils pour les artistes un grand méchant loup qui les dévorera tout crus ?
Nous comprenons tous les craintes des artistes, qui veulent sauvegarder leur métier. Mais ne sont-ils pas le fer de lance des maisons de disques ? Sont-ils en service commandé ?
Etant donné les personnalités en cause, j’en doute. Je penche plutôt pour une véritable prise de position, mais une position conjointe avec les maisons de disques.
Il n’empêche que c’est tout le business model qu’il faut remettre en cause désormais.
D’autres artistes bien sûr sont opposés à HADOPI. Lettre ouverte aux spectateurs.
Selon pcinpact, “plusieurs signataires de cette lettre ont reçu des menaces à peine voilées par téléphone notamment d’autres grands noms du cinéma et de groupements influents”.
On voit là que beaucoup d’artistes n’ont pas envie de se couper de leur public, et voient dans l’internet de vraies opportunités de faire valoir leurs créations. Mais ce sont surtout les excès, les contradictions et les dangers de cette loi HADOPI qui sont mis en cause.
Aujourd’hui, les eurodéputés réunis en assemblée plénière à Strasbourg ont, pour la seconde fois, voté un amendement au « paquet télécom » qui rend hors la loi le projet français autorisant la coupure d’internet sans décision judiciaire en cas de téléchargement illégal.
Le vote solennel aura lieu le 12 mai 2009.
Si vous voulez entamer une discussion, vous serez le (la) premier(e) à donner votre avis...
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