Je vous invite aujourd’hui à découvrir, ou redécouvrir une passionnante intervention de Claude Bourguignon, lors d’une table ronde sur l’écologie et le monde qui s’est déroulée en décembre 2010 à l’initiative d’Yves Cochet.
Claude Bourguignon est agronome, il a quitté l’INRA en 1989 pour fonder le seul institut dans le monde qui étudie les sols sur les plans physique, chimique et biologique.
Premier constat : depuis 20 ans, son laboratoire constate une chute constante et réguilère de l’activité biologique dans les sols.
Claude Bourguignon nous explique comment nous en sommes arrivés là, et surtout, comment rétablir les équibres, et redonner des chances pour une agriculture qui pourra nourrir le monde demain.
Je vous invite vivement à l’écouter sur cette vidéo…
Le sol, c’est quoi ?
Le sol, la terre qui est spécifique à notre monde et lui a donné son nom, représente une couche qui n’est que de 50 centimètres en moyenne sur toute la planète.
Et le sol héberge 80% de la biomasse mondiale. Un seul chiffre : les vers de terre représentent à eux seul le poids de tous les autres animaux et humains réunis. Dans une de nos prairies, on en compte de 1 à 4 millions par hectare.
Or, en Europe, nous sommes passés de deux tonnes de vers de terre à l’hectare, à moins de cent kilos à l’hectare.
Deux tonnes de vers de terre à l’hectare remontent chaque jour deux tonnes de terre.
Ils évitent le lessivage des sols, ils remontent à la surface, en permanence, l’azote, la potasse, le phosphore…
Le sol est organo-minéral. C’est la vie qui transforme le minéral en argile, une matière unique dans notre système solaire. Et cet argile est lié par les humus. Alors que les molécules ont des attaches atomiques, stables et solides, c’est un lien électrique et fragile qui permet la cohésion de nos sols, et qui les rendent fragiles et faciles à détruire.
En 6.000 ans d’agriculture, nous avons dégradé 2 milliards d’hectares de terres agricoles. La moitié de cette surface, 1 milliard d’ha, a été dégradée au seul cours du vingtième siècle.
Quand au début de l’agriculture les déserts représentaient 11% de la surface de la planète, c’est aujourd’hui 32% de sa surface qui est désertifiée.
Quels sols cultivons-nous ?
Nous cultivons aujourd’hui 1,5 milliards d’hectares de sols (à mettre en relation avec les 2 milliards d’ha dégradés). Cela représente moins de 2.200 m2 par habitant.
Nous détruisons les sols à la vitesse de 10 millions d’hectares par an, et nous bétonnons 5 millions d’ha/an (en France, cela représente 1 département tous les 7 ans).
Comment continuer à conserver la même surface agricole tous les ans ?
Nous déforestons 15 millions d’hectares par ans ! Essentiellement les forêts tropicales, celles qui régulent la température entre l’équateur et les pôles.
La population croît de 70 millions de personnes par ans. La production agricole reste pourtant stable depuis 1984. Ainsi deux milliards de tonnes de céréales sont produites tous les ans depuis 1984.
C’est quoi l’équilibre, comment l’avons nous perdu ?
Les Etats ont transféré la production agricole à l’industrie agro-alimentaire.
Cette industrie a délaissé le modèle agro-sylvo-pastoral pour la simplifier.
C’est quoi l’équilibre agro-sylvo-pastoral ?
Il fallait de la forêt qui fait du bois, et des haies pour empêcher les bêtes de vaquer dans la nature, du bois pour la consommation, pour fournir du bois raméal fragmenté pour fertiliser les sols.
Nous pratiquions l’assolement, et nous laissions nos sols reposer sous la prairie.
La prairie était broutée par le bétail, ce qui donnait du fumier pour refertiliser les sols.
C’est le modèle le plus productif au monde par mètre carré.
Ecoutez Claude Bourguignon exposer le modèle aztèque, c’est vraiment passionnant : sur le mêchamp, on récolte haricot, courge et maïs, chacun apportant quelque chose à l’autre.
Alors… Pour remplacer ce modèle, on a inventé l’agriculture intensive (la “révolution verte”). C’est une agriculture qui n’est pas intensive au mètre2, mais intensive par paysan.
Claude Bourguignon nous explique comment la révolution verte a fait régresser l’agriculture de 6.000 ans (nous ramenant au Néolithique !), avec entre autres, la pratique de la monoculture.
En Bretagne, avec la pollution générée, on a même été jusqu’à inventer des merdoducs pour se débarrasser ailleurs de toute cette merde de cochon.
Mais cela coûtait trop cher. Alors, on a fabriqué des usines pour brûler la merde de cochon pour ne plus polluer la Bretagne.
Où est l’erreur ?
L’erreur astronomique a consisté à balancer des engrais chimiques dans les sols.
Les engrais chimiques provoquent une réaction opposée au système biologique.
Au lieu que ce soit les champignons qui fabriquent de l’humus, on multiplie les bactéries qui minéralisent l’humus, et qui dégagent du gaz carbonique (CO2). Les champignons se multiplient 20 fois moins vite que les bactéries. Lorsqu’on ajoute de l’azote (par les engrais), les bactéries prennent le dessus sur les champignons.
En conséquence, de 1950 à aujourd’hui, nous sommes passés de 4% de matières organiques contenues dans les sols à 1,3%. En produisant au passage une proportion inverse de gaz carbonique.
La culture intensive apportée par la révolution verte participe à hauteur de 40% aux dégagements de CO2 sur la planète.
Une autre conséquence est que la faune, qui se nourrit de matières organiques, meurt. Nous avons perdu 90% de notre faune.
Il n’y a donc plus de remontées des éléments en surface. L’azote, le phosphate, la potasse partent vers les nappes phréatiques et vers la mer.
Il se produit alors une dégradation chimique des sols.
Ce sont le calcium, le fer et l’alumine qui attachent l’argile à l’humus. Le calcium s’en va, l’argile n’est plus attachée aux humus, et la terre s’en va lors des pluies.
Nous perdons nos sols.
Ben alors, c’est foutu ? On ne peut plus rien y faire ?
Nos choix de société se résument à 2 possibilités, selon Claude Bourguignon.
Soit on accepte cette fatalité, on continue de donner l’agriculture aux grands groupes agro-industriels – dont l’objectif est plus sûrement de dégager des bénéfices que de réduire la faim dans le monde -, et on laisse la famine continuer de s’abattre de plus en plus sur une population qui ne cesse de croître.
C’est le scénario noir et la situation actuelle.
Soit les États reprennent leur rôle premier : nourrir ses populations.
Agriculture, révolution verte et pick-oil.
L’agriculture est la seule industrie humaine qui nous rend plus que ce que nous lui donnons.
Lorsqu’on plante un grain de blé dans le sol, on en récupère cent. Mais ça, c’était avant…
Avec la révolution verte, ce modèle est cassé : il faut aujourd’hui 8,5 calories fossiles pour produire une seule calorie agricole.
Pour une tomate hors-sol, il faut 36 calories fossiles pour produire une seule calorie agricole (et cela ne compte pas le trajet du Maroc aux centres de distribution).
Le pick-oil est désormais derrière nous, la fin du pétrole est programmée, et il faudra faire sans les produits phytosanitaires et l’agrochimie.
Il nous faudra de toutes façons retrouver l’équilibre biologique de nos sols si l’on veut continuer à avoir une agriculture.
La restauration des terres dégradées pose un tout autre problème : La restauration des sols coûterait à l’hectare entre 1.000 euros et 5.000 euros, selon le degré de dégradation.
Restaurer 2.000 milliards d’hectares de terres nous coûteraient, au bas mot, deux mille milliards d’euros (2.000.000.000.000 €). Cela coûte plus cher de reconstruire que de détruire.
L’enjeu est autrement titanesque, et il n’est pas à la portée des politiques actuelles.
Merci Claude Bourguignon. Vous fûtes magistral.
On ne peut-être pas tout faire d’un coup. Mais on peut peut-être commencer ? Il est largement temps.
Au moment où sortait ce billet, François Hollande visitait le salon de l’élevage A rennes. Le Président à tracé les grandes lignes de la politique agricole du gouvernement (France Inter).
lutter contre la volatilité des produits agricoles et des matières premières,
agir pour une “régulation” des cours,
constituer d’une “réserve alimentaire d’urgence,
défendre un budget européen qui maintienne les crédits de la PAC, qui a “vocation à contribuer à la croissance” (le terme s’applique fort bien en ce domaine, les produits agricoles ont vocation à croître, la question est : dans quelles conditions ?),
remettre en œuvre des politiques de gestion de marché et de gestion de crise,
aborder le sujet de verser des aides aux éleveurs lorsque le cours des céréales est élevé et des aides aux céréaliers lorsque le prix des céréales est bas lors de la réforme de la PAC,
renforcer et rénover une politique d’installation des jeunes,
mettre en place un dispositif fiscal pour protéger les agriculteurs face au risque, un plan d’action pour l’échelonnement des cotisations sociales et un accompagnement bancaire individuel pour les éleveurs en difficulté,
faire du secteur agricole et agroalimentaire un atout du redressement productif…
Tout près dans l’Eure, pour découvrir une autre pratique de l’agriculture, la Ferme du Bec Hellouin : http://www.fermedubec.com/ferme.aspx
De quoi fertiliser et nourrir la réflexion de nos réformateurs de la Politique Agricole Commune ! http://agriculture.eelv.fr/la-reforme-de-la-pac-cest-maintenant/
Laetitia
Au moment où sortait ce billet, François Hollande visitait le salon de l’élevage A rennes. Le Président à tracé les grandes lignes de la politique agricole du gouvernement (France Inter).
Venu mener bataille, il s’engage à :
(source francetvinfo)
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