Lundi dernier se tenait une intersyndicale dans le hall de l'hôpital de Vernon, pour le maintien de toute l'offre de soin actuelle. La situation exposée est proprement scandaleuse : elle ne relève en rien d'une surdotation en moyens sur Vernon, et elle compromet l'avenir quand on regarde l'évolution démographique du secteur - avec, simplement sur Vernon, une augmentation de 1260 habitants depuis dix ans. Mais revenons aux faits.
Une inspection de l'Inspection générale des affaires sociales a remis récemment un pré-rapport de sa mission au directeur et aux médecins hospitaliers. Avec des conclusions et orientations claires :
Le déficit du centre hospitalier intercommunal Evreux–Vernon (CHI Eure-Seine) est «abyssal» de 15M d’euros , des mesures drastiques doivent être prises, et l'une des propositions, c’est la fermeture des blocs opératoires de Vernon qui feraient double emploi avec ceux d’Evreux.
Deux niveaux d’analyse sont nécessaires pour bien comprendre. D’abord le contexte national du financement des Hôpitaux et deuxièmement la réalité locale.
LE CONTEXTE NATIONAL
Depuis plusieurs années, les gouvernements de tous bords ont cherché à réduire le déficit de l’assurance-maladie et ont fait régulièrement et sévèrement des coupes dans le remboursement des prestations. La tentative de maitrise de l’évolution de ces dépenses s’est soldée par l’apparition de l’ONDAM (objectifs nationaux des dépenses de l’assurance maladie), enveloppe financière fermée votée chaque année au budget par nos députés, puis distribuées en sous-enveloppes, tout aussi fermées, pour chaque agence régionale de Santé.
Dans le même temps, l'idée que tout n'est que marchandise a fait le reste. Avec la mise en concurrence commerciale de tous les établissements de santé (publics et privés), on allait permettre d'optimiser le fonctionnement des établissements publics, accusés d'être des paniers percés incapables de gérer l'argent public. Oubliant au passage leur rôle de service public de santé (accueil des urgences, soins aux plus démunis, soins gériatriques de longue durée, formation des médecins, infirmières, recherche, etc. ), ce qui les rend très souvent déficitaires (2/3 des hôpitaux). Devant une telle orientation, le gouvernement actuel aurait-il oublié que la santé est une mission régalienne de l'Etat ?
Pour enfoncer le clou, on établissait une règle qui prit le nom de T2A (tarification à l’activité) : avec cet outil, finis les soins coûteux ! Au privé les actes courts et qui rapportent. Au public le reste. Et ce n'est pas le montant donné pour mission d'intérêt général qui va changer la donne...
Pour finir, et ce n'est pas le moindre, avec la mise en place de la loi HSPT dite loi Bachelot (votée en 2009, décrétée en 2010), on a supprimé les conseils d'administration où siégeaient des élus, les syndicats et aussi les médecins de l'hôpital, pour les remplacer par un organisme purement consultatif, en laissant le directeur de l'établissement seul maitre à bord.
De nouveau, on retrouve cette volonté de gestion basée uniquement sur la rentabilité, sous couvert d'autonomie des établissements. Et que dire de la transparence des décisions qui se retrouvent encore éloignées des citoyens, alors qu'une démocratie moderne demanderait de la concertation avec tous les acteurs et les utilisateurs d'un hôpital ?
LA REALITE LOCALE
Depuis les années 95-96, à partir du constat de la croissance des dépenses de santé, on a fermé de nombreux petits hôpitaux ou maternités et réalisé des fusions administratives de structures proches pour faire des « économies d’échelle ». Des directeurs ont été nommés avec cette mission comme feuille de route.
Cela a été le cas chez nous entre Louviers et Elbeuf et de même pour Evreux et Vernon.
Ensuite, le constat a été fait par Jean-Louis Debré, alors maire D’Evreux, que l’hôpital Saint-Louis d’Evreux était vétuste, enclavé en centre-ville, et ne correspondait plus aux critères d'une capitale départementale.
Bref, il fallait du neuf, et cela tombait bien car il fallait un projet pour relancer et justifier la fin du contournement Ouest d'Evreux (on est bien loin d'une politique de santé durable...), favorisant l'étalement urbain et incitant fortement le déplacement en voiture : le site de Cambolle, en pleine campagne sur la route de Lisieux, et donc à l’opposé de l’accès de Vernon, a été choisi.
Sa conception a été très ambitieuse : pour augmenter son attractivité, des salles pour la coronarographie ont été créées. Mais peu après l’ARH, réalisant qu’une activité importante de coronarographie existait à la Clinique Bergouignan, a retiré son autorisation pour Cambolle. On se retrouve donc avec un hôpital de Cambolle surdimensionné, mal situé, très mal desservi par les transports en commun, qui ne répond donc pas aux prévisions d’utilisation. D’où le surcoût structurel de 8 millions d’euros (donc plus de la moitié du déficit actuel).
Donc, la question posée n'est pas quelle organisation de l'offre de soin, mais comment réduire ce trop de surface sur Evreux ?
Dans ce cas la réponse est simple «fermeture de blocs à Vernon qui iraient remplir ceux construits en trop sur Evreux.»
Quelle vision déplorable, basée sur la rentabilité immédiate et un équilibre gestionnaire sur un ou deux exercices comptables, car fermer les blocs opératoires de Vernon, fermera d’importantes rentrées financières, diminuera inéluctablement l’activité de la maternité, qui sans bloc, n’offrira plus de sécurité, appauvrira l‘accueil des urgences qui ne pourront pas répondre aux urgences chirurgicales.
Il est temps de reprendre le dossier dans son ensemble. Notre département déjà durement frappé par le manque de médecins mérite une autre politique de santé.
Je ne peux que vous encourager à lire le programme Eelv à la page 19 comme premières pistes de réflexion.