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L’orientation des filles en Haute-Normandie : les inégalités persistent

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Les chiffres publiés par le Rectorat de Rouen en décembre 2009 montrent que les inégalités persistent dans la situation des filles et des garçons à l’école et, au-delà, dans leur insertion professionnelle.
Merci à Céline Daniel (SAIO), Hugues Demoulin (SAIO) et Elsa Dupont (SPréSER) qui ont rédigé cette précieuse et très précise note d’information, unique en son genre en France (peut-être parce que notre académie accuse justement un retard lié… au genre ?) :
“Les différences et les inégalités de genre constatées dans l’académie de Rouen sont de même nature que celles observées sur l’ensemble du territoire. Cependant, il ressort de plusieurs comparaisons que les écarts filles/garçons sont plus marqués dans notre académie, et ce tout au long de la scolarité.”
Si l’on prend les évaluations menées en Grande section : on constate sur le département de la Seine-Maritime en 2009 un écart de 3,4% en faveur des petites filles, qui totalisent une réussite de 86,4% contre 83% pour les garçons (sons, vocabulaire, geste de l’écriture, alphabet). On constate cependant que les garçons obtiennent les mêmes résultats que les filles 4 à 5 mois plus tard.
A l’entrée en 6ème : en septembre 2008, les filles obtenaient de meilleurs résultats en français (56,5% contre 48,7%) et les garçons en mathématiques (63,2% contre 60,1%).
On pourrait avoir la tentation d’interpréter ces données comme la traduction d’une réalité de “nature” : il faut plutôt y voir les indicateurs d’une socialisation sexuée différenciée, et ce de façon très précoce. Les jeux proposés par les catalogues aux petits garçons et aux petites filles en sont l’illustration : activités d’intérieur, activités manuelles minutieuses, développement du langage chez les petites filles ; activités d’extérieur, physiques ou scientifiques, pour les petits garçons.
Jusqu’au baccalauréat : les taux de réussite des filles sont globalement plus élevés que ceux des garçons, dans l’académie (88,9% contre 87,4% pour le baccalauréat général) comme au niveau national (89,8% contre 87,4%).
Pourtant, si l’on affine les analyses, des disparités apparaissent. La part des filles est plus importantes pour les demandes et pour les inscriptions en première Littéraire (+10,2 à la rentrée 2008), Economique et Sociale (+6%), Sciences et Technologies de la Gestion (+6,9%), Sciences et Technologies de la Santé et du Social (+3,2%). En revanche, la part des garçons est plus importante en première Sciences et Technologies Industrielles (+12,9%) ou Scientifique (+10,8%).
Dans la voie professionnelle : les candidatures de garçons sont majoritaires : 56,4% et 43,6% pour les filles (Affelnet, chiffres de juin 2008).
Tableau I : Les formations les plus attractives (nbre de demandes supérieur au nbre de places)
formations taux d’attractivité
(nombre de demandes par place)
pourcentage de filles
parmi les candidats
coiffure, esthétique 5,33 93,8%
bâtiment : construction et couverture 4,06 0,9%
sanitaire et social 3,16 94,3%
agro-alimentaire, alimentation, cuisine 2,99 24,2%
énergie, génie climatique 2,46 0,4%
mines et carrières, génie civil, topographie 2,28 0,8%
commerce, vente 2,13 66,8%
bâtiment : finitions 1,97 20,8%
techniques de l’imprimerie et de l’édition 1,88 35,4%
accueil, hôtellerie, tourisme 1,74 43,6%
Si l’on note une tendance à la mixité dans quelques domaines, on note toujours une forte féminisation des demandes en coiffure, esthétique ou encore en sanitaire et social, où les taux de demandes sont très élevés : peu de places pour de très nombreuses candidates.
Tableau II : Les autres formations où les filles restent fortement majoritaires
formations pourcentage de filles
parmi les candidats
taux d’attractivité
(nombre de demandes par place)
habillement (mode, couture) 93,9% 0,83
secrétariat, bureautique 93,9% 0,83
nettoyage, assainissement, protection de l’environnement 77,9% 0,73
commerce, vente 66,8% 2,13
comptabilité, gestion 62,3% 0,67
Tableau III : Les formations les moins féminisées
formations pourcentage de filles
parmi les candidats
taux d’attractivité
(nombre de demandes par place)
forêts, espaces naturels 0% 0,69
technologies industrielles fondamentales 0% 0,28
métallurgie, sidérurgie, fonderie 0% 0,23
énergie, génie climatique 0,4% 2,46
mines et carrières, génie civil, topographie 0,8% 2,28
bâtiment : construction et couverture 0,9% 4,06
structures métalliques 1,4% 1,05
électricité, électronique 1,8% 1,10
moteurs et mécanique auto 2,2% 1,44
spécialités pluritechnologiques mécanique-électricité 2,5% 0,53
Certains de ces domaines, touchés de plein fouet par la crise, sont devenus peu attractifs à l’heure actuelle (technologies industrielles, sidérurgie…). D’autres en revanche, comme le secteur de l’énergie ou le bâtiment, offrent des débouchés, dont se privent les filles.
Si l’on examine maintenant le choix des études supérieures après le bac : en prenant l’exemple des Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE), là encore des disparités persistent.
Si les CPGE économiques et commerciales sont relativement mixtes (51,5% de filles), les CPGE littéraires restent féminisées à 75,9%, contrairement aux CPGE scientifiques où elles ne représentent que 35,4% des candidatures (chiffres de juin 2009). Et là, si l’on affine, de nouvelles disparités apparaissent, entre par exemple la biologie et les sciences de la terre, où les filles représentent 67,2% des candidatures en juin 2009, et la physique, la technologie et les sciences de l’ingénieur, où les filles ne représentent que 11,5% des candidatures, ou encore la technologie et les sciences industrielles, où les filles représentent… 0% des candidatures en juin 2009 !
Passons maintenant à l’insertion professionnelle : Des chiffres datant du 1er février 2008 montrent que 53,2% des filles occupent un emploi sept mois après leur sortie du système scolaire, contre 62,9% des garçons. Les filles obtiennent pourtant de meilleurs résultats aux examens, mais elles s’orientent davantage vers le secteur des services, où l’accès à l’emploi était plus difficile jusqu’alors que dans le secteur de la production. 35,7% des garçons occupent un emploi à durée indéterminée, contre seulement 29,0% des filles. Lorsque les filles ont un emploi, elles sont à 41,9% en contrat à durée déterminée, contre seulement 24,4% des garçons.
Quel que soit le niveau d’études, la proportion des garçons qui occupent un emploi est plus importante que celle des filles. Néanmoins, plus le niveau d’études augmente, plus l’écart entre les filles et les garçons diminue.
Tableau IV : Part des jeunes en emploi
Niveaux d’études Filles Garçons Ensemble Ecart filles-
garçons
Niveau V (CAP, BEP) 34,5% 48,3% 42% -13,9
Niveau IV (BAC Pro ou technologique) 57,6% 70,1% 64,0% -12,5
Niveau III (BTS) 70,9% 74,9% 72,9% -4,0
Niveau II (Licence) 88,9% ** 93,9% **
Total 53,2% 62,9% 58,2% -9,7
**effectif pondéré inférieur à 20, insuffisant pour être significatif
Source : Rectorat de Rouen – SPréSER – Enquête IVA 2008

Ces différences de taux d’emploi entre les filles et les garçons s’expliquent en partie par des choix de formations différents. Les filles se restreignent davantage que les garçons dans leurs choix de formation et se concentrent très majoritairement dans le secteur des services, où l’accès à l’emploi est plus difficile que dans le secteur de la production aux niveaux V et IV.
Ainsi, le nombre de formations, dont le taux d’accès à l’emploi est supérieur à 50%, est plus grand chez les garçons que chez les filles.
Tableau V : Les groupes de formations au niveau CAP-BEP où le taux d’insertion était supérieur à 50% en 2008
Chez les filles Chez les garçons
Spécialités plurivalentes sanitaires et sociales 63,4% Mines et carrières, génie civil, topographie 91,8%
Travail social 55,0% Energie, génie climatique 76,0%
Transport, manutention, magasinage 64,0%
Moteurs et mécanique auto 59,0%
Travail du bois et de l’ameublement 58,6%
Agro-alimentaire, alimentation, cuisine 52,8%
1 431 filles sortant :
– de 21 groupes de formations
– dont 10 du secteur des services
– 85,3% des filles proviennent d’une formation du secteur des services
– 34,5% ont un emploi
1 811 garçons sortant :
– de 30 groupes de formations
– dont 10 du secteur des services
– 23,5% des garçons proviennent d’une formation du secteur des services
– 48,3% ont un emploi
On le voit, les filles se mettent en concurrence sur un petit nombre de formations (et donc de métiers). Elles se privent également de formations porteuses de débouchés et de perspectives salariales plus intéressantes, comme le génie civil ou le génie climatique.
Cela se traduit bien entendu, non seulement dans une inégalité face à l’accès à l’emploi (Tableau IV), mais encore dans une inégalité de salaires : d’après l’enquête menée par la Division des Etudes, de l’Evaluation et de la Prospective (DEEP) en 2008, sept mois après leur sortie du système éducatif, les garçons qui occupent un emploi à temps plein ont déclaré un salaire net mensuel moyen de 1315€ (primes incluses) contre 1170€ pour les filles.
Cette différence de salaire de 144€ s’explique en partie par des différences de structure entre l’emploi masculin et l’emploi féminin. En effet, les filles sont plus souvent présentes dans les professions où les salaires sont plus faibles : 93,5% des filles travaillent dans le secteur des services contre 28,2% des garçons – les salaires dans cette catégorie socioprofessionnelle étant particulièrement peu élevés.
A niveau de diplôme égal (tous groupes de formation confondus), les garçons perçoivent en moyenne un salaire plus élevé que les filles, à l’exception du niveau II.
Tableau VI : Salaire moyen des jeunes en emploi à temps plein au 1er février 2008 (en euros)
Niveaux d’études Filles Garçons Ensemble Différence de salaire filles-garçons Rappel différence de salaire au 1er février 2006
Niveau V (CAP, BEP) 1102 1273 1228 -171 -138
Niveau IV (BAC Pro ou technologique) 1149 1306 1253 -157 -149
Niveau III (BTS) 1205 1363 1291 -159 -133
Niveau II (Licence) 1312 1195 1297 +117 +141
Total 1170 1315 1261 -144 -70
On le voit, la différence de rémunération selon le sexe persiste et s’est même accentuée depuis 2006.

Quelles actions mettre en œuvre pour faire évoluer les stéréotypes et favoriser l’accès de tous et toutes à l’ensemble des formations et des métiers ?

Michel FILLOCQUE, Président de la commission régionale de la formation professionnelle au sein de la Fédération Française du Bâtiment Haute-Normandie (l’un des syndicats d’employeurs du secteur Bâtiment), coordonne l’action de tous les mandataires présents dans les organismes de formation initiale et continue. Le rôle de la Commission est de :
  • veiller à l’application de la politique professionnelle définie par la FFB et la FFBHN dans les organismes de formation de la branche ;
  • réunir la CPREF (commission paritaire régionale de l’emploi et de la formation) ;
  • représenter la FFBHN dans tous les groupes de travail ou commissions du Conseil Régional de Haute-Normandie ;
  • participer à l’élaboration du Contrat d’Objectifs Professionnel (COP) et de l’Observatoire Régional de l’Emploi et de la Formation du BTP (OREF BTP).
Les chiffres publiés en décembre 2008 par l’Observatoire Régional de l’Emploi et de la Formation dans le BTP en Haute-Normandie montrent que l’augmentation du nombre de femmes était de + 4 % en 2007 (avec une forte proportion d’emplois administratifs ou commerciaux). L’emploi ouvrier féminin reste encore situé sur un faible niveau, mais progresse tout de même de +10%.
Tableau VII
Effectif féminin 2007 Poids
Ouvriers 374
ETAM
(Employés, Techniciens et Agents de Maîtrise)
3404
IAC
(ingénieurs, assimilés et cadres)
437
Total 4 215 9,8%

Dans sa Convention du 4 mars 2004, la FFB proclame :
Les femmes ont toute leur place dans le bâtiment
“Dans un contexte de ralentissement économique, le bâtiment continue à recruter. Dans les cinq années à venir, les besoins sont estimés à environ 90 000 personnes par an, notamment pour remplacer les nombreux départs en retraite et pour mettre en œuvre le Grenelle de l’environnement. Ce sont autant d’opportunités d’emplois pour les femmes.
L’entreprenariat devrait aussi offrir des perspectives intéressantes au public féminin si l’on considère que, d’ici 10 ans, 50% des chefs d’entreprise seront partis à la retraite et que les femmes sont de plus en plus nombreuses à se former pour créer ou reprendre une entreprise.
Grâce à la mécanisation, aux engins de levage, aux matériels et conditionnements plus légers, les conditions de travail se sont nettement améliorées et l’arrivée des femmes sur les chantiers a accéléré ce mouvement au bénéfice de tous les salariés.
Aujourd’hui, les femmes sont présentes dans tous les métiers du bâtiment et à tous les niveaux de responsabilité : ouvrières, techniciennes, ingénieures, conductrices de travaux, chargées d’affaire…, conjointes-collaboratrices, codirigeantes ou chefs d’entreprise.
Grutières, maçonnes, carreleuses, électriciennes, peintres, ingénieures, conductrices de travaux… elles s’intègrent parfaitement dans les entreprises et sont reconnues comme une plus-value pour le bâtiment. Sur les chantiers ou dans les ateliers, aux commandes de leurs entreprises, chaque jour les femmes du bâtiment traduisent au féminin la passion de construire !”
On le voit, les déclarations d’intention existent. Reste à faire évoluer les mentalités :
  • des chefs d’entreprise d’une part, pour qu’ils recrutent des femmes (la plupart rechignent encore, prétextant par exemple qu’il faudrait… installer des toilettes sur les chantiers !)
  • des filles d’autre part, qui se dirigent encore très peu vers ces métiers, pourtant porteurs.
On le voit, l’argument de la force physique ne tient plus aujourd’hui, grâce à l’amélioration des conditions de travail (mécanisation, conditionnements…). Le frein réel reste sans doute encore dans ce qu’on peut appeller “l’effet de seuil” : la féminisation devient effective quand plusieurs filles intègrent une formation, et l’on constate qu’une fille seule dans un groupe masculin a de fortes chances de “décrocher” avant la fin de sa formation (le contraire semblant moins se vérifier pour les garçons…
Alors comment faire ? Poursuivre les exhortations vertueuses, les formations, les déclarations d’intention ? Ou bien, comme pour la parité en politique, faudra-t-il que cela passe par des contraintes ? Ou encore, comme pour les économies d’énergie, par des avantages fiscaux ?
Je suggère pour ma part de commencer par sanctionner les magasins de jouets et leur découpage sexiste des rôles !
Des legos pour ma fille ? “Mais Madame, c’est du côté bleu…”
Que fait la Halde ?!
Laetitia Sanchez
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déjà 3 commentaires pour cet article

  1. Mar 2010
    7
    21 h 40

    bon travail de synthèse qui m’a amené à réfléchir à un sujet qui m’était inconnu même si je ne suis pas surpris par ces résultats… je vais donc tacher d’en tenir compte dans mon travail de prof principal de 3ème. De plus c’est une bonne base de données pour étudier les statistiques en maths.

    merci laetitia

    olivier

    jouet

  2. Mar 2010
    7
    22 h 12

    merci Olivier ;-)

    laetitia

  3. Jan 2014
    31
    12 h 40

    Pour consulter les données statistiques 2013 : répartition selon les niveaux d’enseignement, résultats scolaires, choix d’orientation, poursuite d’études après le baccalauréat et insertion professionnelle.
    Cette publication montre les différences d’orientation entre filles et garçons et leurs incidences ultérieures sur l’insertion dans l’emploi ainsi que sur les inégalités professionnelles et salariales entre les femmes et les hommes.
    http://www.education.gouv.fr/cid57113/filles-et-garcons-sur-le-chemin-de-l-egalite-de-l-ecole-a-l-enseignement-superieur.html

    Laetitia

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