Accueil > écologie > La terre, pour quoi faire ? Pro-bio at anti-bio ont débattu à Fleury sur Andelle…
L’association saveurs et savoirs nous invitait à un café philosophique sur le thème : La terre, pour quoi faire ? Lotissements ? Routes ? Zones d’activités ? Cultures ? Nature ? Biodiversité ? Comment partager ?
Pour information, je ne suis venu à cette réunion que comme “consom’acteur”, sans connaissances techniques préalables suffisantes. Je suis donc là pour me faire une idée…
La présidente de saveurs et savoirs et Céline, la coordinatrice de l’association, sont rentrées tout de suite dans le débat, en parlant des difficultés du retour à la terre, et des problèmes d’accession aux terres. Surtout pour les agriculteurs(trices) bio.
Pour en débattre, elles ont invité :
Emmanuel Hyest, président de la FDSEA et de la SAFER,
Gaël Louesdon, co-fondateur de la Foncière Terre de Liens,
Jean-François Dufaux, chargé de mission au Conservatoire des Sites Naturels de Haute-Normandie.
On va parler biodiversité, agriculture, agriculture bio, et AMAP. Aussi, je vous invite à écouter l’émission d’Isabelle Giordiano, Service Public (France Inter), du 3 décembre 2009, sur le thème : “AMAP : pourquoi ça marche de plus en plus, est-ce toujours bien ?”
Avant de donner la parole à M. Hyest, la présidente rappelle les difficultés que recontrent les maraîchers bio, en citant les cas de plusieurs maraîchers, dont un seul a bénéficié de l’attribution d’une terre, et encore s’agissait-il d’une terre qui appartenait à sa famille.
Elle évoque le cas d’un maraîcher bio, qui a bénéficié d’un avis technique positif sur son projet, mais n’a pas obtenu la parcelle qu’il souhaitait.
M. Hyest rebondit aussitôt, car il connaît bien le dossier, pour l’avoir instruit, et nommera cet agriculteur M. B. Or, Benoît Lelièvre, puisque c’est de lui dont il s’agit, a effectivement reçu un avis favorable, mais la Safer lui a accordé une surface, car on n’accorde pas de parcelle. La parcelle que M. Lelièvre souhaitait a été accordé à un éleveur, et une autre surface, une parcelle en plein milieu de labours, sans haies, et plus éloignée d’un point d’eau, lui a été accordée.
Là nous sommes entrés dans la polémique. Pour les agriculteurs bio, le choix de la parcelle est important pour la qualité de leur production. Cette parcelle avait été choisie. Pour M. Hyest et la Safer, une parcelle est équivalente à une autre, et de plus, selon lui, cette parcelle est trop humide pour pouvoir y faire du maraîchage. Et la forme, en pointe, ne permet pas d’y effectuer l’activité de maraîchage.
Pour philippe Brière, éléveur bio, au contraire, le choix de la parcelle est des plus importants.
Sur ce choix, il m’a semblé comprendre que déjà agriculteurs bio et agriculteurs intensifs (on parlait d’agriculture intensive, maintenant d’agriculture raisonnée, et bientôt, pour la même activité et les mêmes méthodes, d’agriculture à haute valeur environnementale) s’opposent déjà. Ca va être chaud ?
C’est M. Hyest qui, après ce préambule, prendra la parole pour rappeler l’histoire de l’agriculture depuis 1955 et présenter la Safer et son rôle pour les agriculteurs.
M. Hyest nous raconte l’histoire (en raccourci) de l’agriculture depuis 1955. Mais pour lui, l’acte fondateur de l’agriculture française est la PAC, dont le but est d’apporter aux agriculteurs un revenu comparable aux autres catégories socio-professionnelles.
Les cultures ont évolué en fonction du marché. Dans les années 70, le panier de la ménagère représentait 30% du budget du ménage. Et aujourd’hui, il ne représente plus que 13 à 14%, ce qui, pour M. Hyest, est la preuve des efforts fournis par les agriculteurs et justifie les choix pris. C’est la baisse des produits agricoles qui aurait permis cette baisse en % du budget des ménages, et aurait permis des transférer les richesses économisées vers d’autres postes.
Ensuite, M. Hyest nous parle des contrôles des structures : Quand auparavant une autorisation était nécessaire pour l’agrandissement d’une exploitation, aujourd’hui, les contrôles ont disparu.
Mais. Depuis 1965, la SAFER, société anonyme sans but lucratif, gère les transactions concernant les propriétés foncières. Agricoles, s’entend.
La SAFER met en réserve du foncier, et l’attribue aux agriculteurs.
Bien sûr, il y a des priorités. 2 de ces priorités nous seront indiquées :
C’est le droit de préemption qu’a la SAFER qui lui permet d’acquérir le foncier qui sera attribué aux exploitants. Après que la SAFER ait validé la conformité de leur projet.
Une des grandes préoccupations de l’assemblée, et de M. Hyest, est la fermeture du marché foncier : les terres agricoles diminuent de 15% chaque année depuis 3 ans.
En conséquence, la SAFER n’arrive plus à fournir les demandes. En 2009, il y avait 40 demandeurs pour une même parcelle en moyenne.
Mais si la volonté de l’Etat est le doublement de la SAU (Surface Agricole Utilisée) cultivée en bio, qui passerait de 2 à 4%, le bio n’est pas une priorité de la SAFER.
(source : agreste.agriculture.gouv.fr)
En France en 2007, près de 12 000 exploitations agricoles sont engagées dans l’agriculture biologique, soit 2,02% de la SAU nationale.
Le plan « Agriculture Biologique : horizon 2012 » lancé par le ministère de l’agriculture et de la pêche dans le cadre du Grenelle de l’environnement, a pour objectif de tripler en cinq ans (passer de 2% à 6%) la surface agricole cultivée en bio. En 2007, arrivent en tête la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur, le Languedoc-Roussillon avec respectivement 6,9% et 4,4% de SAU bio. Les conversions des terres arables en production bio ont progressé de 12,4% en moyenne en 2007.
Pour 2007, en France, les ventes de produits alimentaires issus de l’agriculture biologique sont estimées à près de 1,9 milliard d’euros hors taxe (1,7 milliard en 2006).
Sur 10 ans, le marché du bio a progressé de 10 % par an en moyenne.
Plus d’un français sur 4 consomme des produits bio, dont 42 % au moins une fois par an, 23 % au moins une fois par semaine et 6 % tous les jours.
77 % des français estiment que l’agriculture biologique est une voie d’avenir face aux problèmes environnementaux.
En 2007, ce sont les grandes et moyennes surfaces (GMS) et les magasins spécialisés (respectivement 39,6% et 36,9% des parts de marché) qui concentrent la majeure partie des ventes.
La vente directe (sur place, marchés, salons, correspondance…), a enregistré 18,2% des échanges de produits bio.
Quant aux artisans-commerçants (boulangerie, boucherie), ils ont attiré 4,5 % des achats.
Les produits bio les plus consommés sont les fruits et légumes, suivis des produits laitiers, des œufs, des produits à base de céréales et de l’épicerie, des viandes, puis du pain.
En France, la restauration collective à caractère social représente 49% des repas pris hors domicile.
Environ 3,5 milliards de repas sont servis par an, soit 9,5 millions par jour en moyenne. Principaux secteurs concernés : le secteur de la santé (43%), l’enseignement (33%), et le travail (13%).
La restauration collective « bio » reste très modeste, puisque qu’elle ne représente que 0,5 % du marché de l’alimentation bio, mais son développement est prometteur. En restauration scolaire, les parents sont demandeurs, à 78%, de produits bio dans les cantines; dans les entreprises, 39% des actifs en souhaiteraient sur leurs plateaux; 43% des Français sont intéressés par des menus bio au restaurant.
En outre, une des conclusions du Grenelle de l’environnement, visant à favoriser le développement de l’agriculture biologique, propose de passer progressivement à 20% de produits bio dans la restauration collective publique d’Etat (administrations, hôpitaux, universités, prisons…) à l’horizon 2012.
Chez nos voisins européens, même impulsion. En Italie, 683 cantines scolaires ont servi 924 000 repas bio par jour en 2007. En Allemagne, la moitié des restaurants collectifs proposent du bio. En Suède, au Danemark, en Autriche et au Pays-Bas, des objectifs nationaux similaires sont dessinés.
Si la préoccupation de la Safer n’est clairement pas le développement de l’agricuture BIO, il en va tout autrement pour Terre de liens, qui a été créée en 2003 pour aider au développement du BIO. L’objectif de Terre de liens est de donner accès au foncier pour les producteurs BIO.
Terre de liens a été créée sous forme de société en commandite par actions, avec plus de 200 actionnaires et un capital de 1.300.000 €.
Comme la Safer, Terre de liens essaie de lutter contre l’artificialisation des terres (66.000 ha chaque année) et la spéculation qui fait rage sur ce secteur. Mais à la différence de la Safer, Terre de liens s’oppose à la concurrence entre agriculteurs pour l’agrandissement, concurrence qui fait disparaître 200 fermes chaque semaine. Pour Gaël Louesdon, comme pour les agriculteurs BIO qui étaient présents, il s’agit de promouvoir une agriculture qui permet de faire vivre 1 actif pour 10 ha de terres. Là ou les agriculteurs intensifs (ou raisonnés) présents, estimaient qu’on ne peut vivre décemment à moins de 40 ha /actif.
Pourtant, Gaël Louesdon comme les agriculteurs BIO présents affirmaient le contraire : on peut vivre de sa terre, avec 10 ha, en privilégiant les circuits courts et l’autonomie, avec une mécanisation considérablement moindre.
Soutenir des projets socialement, écologiquement et économiquement pérennes.
Encourager des dynamiques collectives et solidaires en milieu rural et périurbain.
Renforcer, par des actions, le débat sur la gestion de la terre et du bâti.
Le crédo de Terre de liens : Protéger la terre et la sortir de la spéculation, pour la cultiver dans le respect de l’environnement.
Conditions d’obtention des avantages fiscaux :
L’agrément « Entreprise Solidaire » permet de faire bénéficier aux actionnaires d’un avantage fiscal sur les souscriptions au capital des PME : une réduction de l’impôt sur le revenu de 25% du montant souscrit,
Pour l’impôt sur le revenu, les versements sont retenus dans la limite de 50 000 € par an pour les contribuables célibataires et de 100 000 € pour les contribuables mariés ou pacsés soumis à une imposition commune. La fraction des investissements excédant cette limite, ou excédant la montant de l’impôt, ne peut pas être reportée sur les années suivantes.
Pour l’ISF, l’avantage est de 75% du montant souscrit. Le montant de la réduction d’ISF est limité à 50 000 € par année d’imposition. La période de souscription à prendre en compte dans la déclaration est du 16 juin N au 15 juin N+1 (sous réserve de ne pas dépasser globalement 2,5 millions d’euros sur 12 mois).
La réduction à l’IR est exclusive de la réduction à l’ISF pour la même souscription.
Notre dernier dernier intervenant, avant le débat est Jean-François Dufaux, chargé de mission au Conservatoire des Sites Naturels de Haute-Normandie.
Le Conservatoire des Sites Naturels de Haute-Normandie, c’est 28 salariés, scientifiques et techniciens, qui gèrent 52 sites, sur une surface de 1150 hectares. Il est financé à 99% par le public. C’est aussi une association qui rassemble près de 250 adhérents, des communautés adhérentes, des conservateurs bénévoles, et des associations partenaires.
Les 4 missions du conservatoire sont connaître (et faire connaître), protéger, gérer et valoriser les espaces naturels et la biodiversité des sites.
Le plus gros travail reste le débroussaillage et le déboisement des sites. En effet, le boisement en milieu tempéré provoque une chute de la biodiversité : là où en forêt on trouve 40 espèces (pour toute la forêt), la biodiversité dans une prairie est de 40 espèces par m2 !
Il faut donc stopper l’avancée de toute la forêt sur les zones à forte biodiversité.
46.000 ha d’espace est disponible pour la biodiversité (sur la Vallée de l’Eure, la Vallée de Seine et le Pays de Bray), ce qui représente 3,5% de notre territoire. Dans d’autres régions, ce pourcentage peut atteindre jusqu’à 12 %.
Pour réaliser sa mission, et la rendre pérenne, le conservatoire assure la maîtrise foncière de ces sites par achat ou par convention de gestion avec les propriétaires, qu’ils soient publics ou privés.
Nos 3 protagonistes partagent une même mission : assurer la maîtrise foncière des terres. En outre ils partagent une même préoccupation : lutter contre l’artificialisation des terres (66.000 hectares, l’équivalent d’un département, qui disparaît chaque année pour la culture et la biodiversité). Leur but est donc de préserver, et réserver, les terres… et là intervient le “pour quoi faire ?”.
La Safer et Terre des liens, c’est l’éléphant et la souris. La Safer représente 80.000 hectares achetés et revendus par an, soit 22,9 % du marché foncier accessible. Terre des liens, c’est 365 hectares (!).
Inutile de vous dire que la Safer est la société qui a le pouvoir sur l’attribution des terres, et la FNSEA qui y détient les 2/3 des sièges (même s’il existe une tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances, que les collectivités territorales et les Conservatoires des Sites Naturels y sont représentés) décide in fine de l’attribution et du type d’exploitation.
Lorsque que le Président de la Safer, M. Hyest, qui possède également les casquettes de Président de la FDSEA 27, de Vice Président de la Chambre d’Agriculture, et dirigeant lui-même une grande exploitation agricole, nous dit que l’agriculture BIO n’est pas une priorité, tout du moins pas plus ni moins, précise-t-il plus tard, que l’agriculture dite “raisonnée”, les exploitants BIO ont du mouron à se faire.
Si c’est une priorité au niveau national (objectif : tripler en cinq ans – de 2% à 6% – la surface agricole cultivée en bio), au niveau local, et surtout, comme on le voit sur les cartes, dans le département de l’Eure, les exploitants BIO ont bien du mal à s’installer.
D’autres sujets ont été évoqués lors de ce café philo :
Même si tout le monde s’accorde à dire que ces corridors sont indispensables pour la sauvegarde de la faune et de la flore, il serait plus facile aux agriculteurs BIO de respecter et d’aménager ces corridors, de par la taille des exploitations et la moindre mécanisation. Lors de ce débat, c’était aussi ceux-ci qui y accordaient le plus d’importance…
Si les agriculteurs BIO font des efforts pour se faire connaître, et reconnaître, il semble que cela reste un épiphénomène pour l’agriculture intensive qui y reste rétive, sinon hostile. La FNSEA est derrière ses remparts, et sa position dominante ne pose pas les agriculteurs BIO en interlocuteurs ou en partenaires. La volonté affichée du gouvernement fait figure de voeu pieux sur le terrain…
La crise agricole actuelle fera-t-elle bouger les lignes ?
Quant à M. Benoît Lelièvre, son cas n’est toujours pas tranché. Il en sera sans doute réduit à poursuivre sa démarche auprès du Tribunal Administratif. Dur, dur, pour les agriculteurs BIO.
Quelques adresses :
1001 légumes (et ses paniers hebdomadaires)
La ferme biologique du Bec Hellouin
Saveurs et savoirs (nos hôtes pour ce café philo)
AMAP Risloise – Pont Audemer
AMAPS de Haute-Normandie
Site national des AMAPS
Si vous voulez entamer une discussion, vous serez le (la) premier(e) à donner votre avis...
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