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Batho coulée par le chef de l’Etat : torpillée pour outrecuidance ou sabordée par les lobbies ?

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Pour Bernard Cazeneuve, fervent défenseur du nucléaire et ministre délégué au Budget, “[Delphine Batho] a pris la décision à un moment donné de ne pas poursuivre sa mission en raison d’un désaccord qu’elle a exprimé“. Circulez, y a rien à voir.

Le lynchage médiatique de Delphine Batho peut commencer. Elle a beau mordre, il y a des chances qu’elle prenne la patée, et même qu’elle finisse en patée.
Ministre isolée, qui n’a que le bac pour tout diplôme (rendez-vous compte ! Et elle prétendait vouloir conduire des arbitrages avec des énarques et autres polytechniciens…), fragile politiquement et fragile parce que femme et femme isolée, elle aurait été plus militante que politique, incapable de se créer des réseaux, présentée, une fois virée, comme inefficace et austère dans son ministère… Sans compter qu’elle ne serait là que par la volonté de Ségolène Royal, de qui elle aurait tout appris, y compris la stratégie de la victimisation, et malheureusement pour la pauvre ministre, celle-ci n’a même pas su garder ce seul soutien, s’étant fachée avec sa mentore.
Reste quand même la seconde fois qu’une ministre du sérail socialiste prend en main les manettes de ce ministère, et en responsabilité, se laisse imprégner par l’évidence écologique
Par deux fois, les lobbies pétroliers sont mis en cause.
Par deux fois, l’éjection est publique mais se fait à distance : l’une en plein sommet international RIO+20, et l’autre, en direct des questions au gouvernement, reçoit un SMS face aux caméras. C’est cinglant et lapidaire.

Erreur de casting, la deuxième femme ministre qui saute au ministère de l’écologie en à peine plus d’un an…

On peut aussi s’étonner du parallèle fait entre son limogeage, qui n’a fait l’objet d’aucun commentaire ni d’aucun remerciement du gouvernement, et la démission de M. Cahuzac saluée par François Hollande : “Je remercie Jérôme Cahuzac pour l’action qu’il a conduite depuis mai 2012 comme ministre du Budget pour le redressement des comptes de la France. Il l’a fait avec talent et compétence.”
Ou encore Bruno Leroux, président du groupe socialiste à l’assemblée, et défenseur aussi de la recherche sur le gaz de schiste, qui “[voulait] dire notre amitié à Jérome Cahuzac dans l’épreuve qu’il traverse. Il a été un grand ministre qui a rétabli la situation financière du pays et oeuvré à l’intérêt général”, et qui, à propos madame Batho, estime que “La responsabilité c’est d’assumer ses propres erreurs, pas de l’imputer à la ligne politique du gouvernement”.
Mais qui nous rassure en affirmant : “les décisions en matière de transition énergétique que le gouvernement va prendre, démentiront ce qu’a dit Mme Batho”.
On peut lire ici les réactions des ténors de la politique saluant la compétence et la dignité de l’ancien ministre du budget, et par comparaison (qui n’est pas raison), on peut lire les réactions en chaîne qui ont suivi l’éviction sans tambours ni trompettes de l’ex-ministre de l’écologie, et surtout sa conférence de presse.
Une erreur de casting, donc ? Qui a choisi madame Batho pour remplacer Nicole Bricq, sortie, elle aussi, du ministère de l’écologie en juin 2012, en plein sommet RIO+20, lorsqu’elle s’est opposée à Shell et Victorin Lurel sur le dossier des forages de pétrole non conventionnel au large de la Guyane ?
Quelques jours après que madame Bricq fut débarquée, on apprenait que les permis d’exploration étaient confirmés, avec une nouvelle répartition des royalties entre Shell, l’Etat et les collectivités locales.
Pour des forages qui n’ont pas rapporté les 600 millions de barils de brut, au final. Soit dit en passant. Vides. Pas d’hydrocarbures. Mais il fallait bien essayer, même au risque de saccager un des éco-systèmes les plus riches de la planète…
Donc on mute madame Bricq, on limoge madame Batho, parce qu’elle a prononcé un mot de travers : “mauvais”. C’est un mauvais budget, a-t-elle dit. et au lieu de se taire et de rentrer gentiment dans le rang, elle fait une conférence de presse.
Est-ce une erreur de casting à l’origine, avec une ministre nommée au ministère de l’écologie, alors qu’avant cela, elle était porte-parole de François Hollande, spécialisée dans la sécurité ?
Ou bien ses prises de positions sur le nucléaire et le gaz de schiste, lorsqu’elle s’opposait sur la fracturation hydraulique à Laurence Parisot, patronne du MEDEF jusqu’au 3 juillet, et à Arnaud Montebourg, pour qui la France est l’Arabie Saoudite du gaz de schiste rendent la ministre incompatible avec la politique énergétique du gouvernement ?
Répondant dans une matinale à Jean-Michel Aphatie, qui pose la question : “Dans le projet de dépense que [lui] présente le gouvernement, on remarque que votre budget, celui de l’écologie, décroche la palme du plus fort recul, moins 7% de crédits pour ce qui concerne votre ministère, Delphine Batho. François Hollande disant en septembre qu’il ferait de la France la nation de l’excellence gouvernementale [il voulait dire “environnementale”], ça ne sera pas le cas, pourquoi ?”
Delphine Batho répond : “D’abord c’est un peu vite dit que ce ne sera pas le cas, mais c’est vrai que c’est un mauvais budget, et moi je souhaite que dans les jours qui viennent, nous puissions faire la démonstration qu’effectivement la volonté de faire de la France la nation de l’excellence environnementale, la transition énergétique, ne sont pas des variables d’ajustement, et certes il y a des coupes et des restrictions budgétaires, mais il y a aussi d’autres moyens qui vont être mobilisés au travers de la fiscalité environnementale, ou au travers des investissements d’avenir. Je pense que c’est absolument nécessaire. Pourquoi ? Parce qu’on est à un moment où les français doutent, ou on peut le dire, parce qu’il faut dire les choses telles qu’elles sont, il y a une déception à l’égard du gouvernement, il y a un doute sur notre volonté de changement. Or, cette question de l’écologie, de la transformation de notre modèle de développement économique, elle est cruciale par rapport à la volonté de changer la société française. Et je pense que dans le moment actuel, quand tout va mal, les français ont besoin d’espoir, ils ont besoin de perspectives d’avenir. Et donc c’est un chantier très important dans ce quinquennat.”
Pas de quoi casser trois pattes à un canard, on est bien loin des saillies d’Arnaud Montebourg disant à François Hollande : “Tu as nommé un élu local à la tête du gouvernement ! […] C’est l’aviation qui mitraille ses fantassins !”, ou au premier ministre Et après ça, tu fais chier la terre entière avec ton aéroport de Notre-Dame-des-Landes, dont tout le monde se fout ! Tu gères la France comme le conseil municipal de Nantes !
Il est surprenant alors que ce soit à l’endroit de Delphine Batho qu’Harlem Désir ait communiqué : “Je regrette et je condamne des propos qui n’ont pas lieu d’être vis-à-vis du Premier ministre et qui ne sont pas acceptables”.
Il me semble qu’on est là surtout dans la forme. Un simple recadrage des propos par le premier ministre, et deux ou trois ministres minorant la sortie et réaffirmant la cohésion et la vision du gouvernement aurait sans soute pu éviter cette nouvelle crise gouvernementale.
Sauf s’il y a eu volonté de se séparer d’une jeune ministre trop arc-boutée sur des principes allant à l’encontre du redressement productif, faisant obstacle aux rêves d’un rêve d’Eldorado sulfureux, et dont le partage du pactole (butin ?) permettrait entre autres, de remettre les comptes de la nation dans le vert. Ce qui vaut pour Delphine Batho vaut pour les autres, dit Laurent Fabius. Voilà des ministres présents et à venir qui sont prévenus.
Même si M. Juppé estime “[qu’]on ne négocie pas son budget sur les ondes de la radio”, les matinales des radios, les revues de plateaux TV, internet, tweeter, servent en grande partie aux politiques à se justifier, expliquer pourquoi la politique conduite est la seule en mesure de sauver la France et les français, et pourquoi ils sont incontournable, sinon providentiels. Plus rarement providentielles.
Delphine Batho a aussi parlé de déception des français. Certes ce n’est pas l’exercice guindé du message habituel, mais je ne vois pas là crime de lèse majesté. Plutôt l’usage d’une parole de vérité, d’un constat partagé par tous, un peu de frais au pays de la langue de bois.
[Langue de bois ? “Ce que je n’accepte pas, c’est le tournant de la rigueur qui ne dit pas son nom”, dit Delphine Batho. Ce à quoi répond Bernard Cazeneuve :”Il n’y a pas de tournant de la rigueur.” C’est quoi, la droite ligne de la rigueur ?]

Mis en cause : les lobbies pétroliers, plus discrètement, le lobbie nucléaire, et directement visé, Vallourec et la directrice de cabinet de François Hollande.

Ce qui va choquer le monde politique et celui des affaires, c’est la mise en cause des lobbies par l’ex-ministre. Et elle cite l’entreprise Vallourec, leader mondial dans la fabrication de tubes servant à l’exploitation de gaz de schiste.
Le magazine Challenge nous apprenait que lors d’un voyage de presse financé par l’entreprise, le patron de Vallourec, Philippe Crouzet, avait annoncé que “le problème Batho était en passe d’être réglé.
Lire l’article de Challenge du 3 juillet : Le limogeage de Delphine Batho était dans les tuyaux
“Le mois dernier, lors d’un voyage aux Etats-Unis, le président du directoire de Vallourec, Philippe Crouzet, avait dit devant l’état-major américain de son groupe, qu’elle était “un vrai désastre”. Philippe Crouzet, qui est aussi l’époux de Sylvie Hubac, directrice de cabinet de François Hollande, avait ajouté que le problème Batho était en passe d’être réglé, car son influence au gouvernement allait désormais décroître. Un propos prémonitoire qui montre que cela faisait belle lurette que la ministre de l’Ecologie n’était plus en odeur de sainteté auprès des proches du président.” (Challenge, par Nicolas Stiel)
Comment savait-il ? Tout le monde a appris dans la foulée que la femme du patron de Vallourec est directrice de cabinet du président François Hollande.
Le patron de Vallourec a démenti aussitôt : “Philippe Crouzet, président du directoire de Vallourec, n’a jamais fait aucun commentaire sur un éventuel départ du gouvernement de Delphine Batho, ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie”.
@rrêt sur images fait le point sur ce OFF d’un voyage de presse au Etats-Unis, où six médias ont été invités par Vallourec, dont cinq français : l’AFP, Challenge, les Echos, le Figaro et le Monde.
Dans ce point sur les coulisses de ce OFF, le journaliste du Monde et celui de Challenge n’aurait pas entendu la même chose :
Le Monde : pour le journaliste du monde, “Il a été critique envers elle, mais c’était les critiques d’un président d’un groupe qui fait des affaires aux Etats-Unis grâce au gaz de schiste, il n’a jamais dit que Batho était sur un siège ejectable”.
Challenge : Alors que pour Nicolas Stiel, toujours selon @si, ne renie pas ses propos, et il ajouteIl a dit que son périmètre allait être réduit, qu’elle allait avoir moins d’influence et qu’elle serait recadrée. J’estime qu’il a été très imprudent en disant cela”.
Enfin @si a interrogé un troisième journaliste qui était présent, et qui a souhaité rester anonyme : “A aucun moment il n’a dit qu’elle allait tomber, je n’ai vraiment pas entendu ça. Mais il a dit que la gestion dont il se plaignait était remontée [asi : Remontée jusqu’où ?] Il ne l’a pas dit, c’était sous-entendu mais selon lui, il y avait eu une prise de conscience que sa gestion posait problème en haut lieu
Hum, alors ? La gestion [de la ministre] dont [le patron de Vallourec] se plaignait est-elle remontée à l’Elysée ? Sous-entendu, par le truchement de la femme du patron de Vallourec ?
Savait-il que le problème était en passe d’être réglé ? Ou bien, comme semble le dire Philippe Crouzet, il n’a jamais parlé d’un éventuel départ de l’ex-ministre ?
En tous cas, d’autres industriels prennent le soin de dire que leur entreprise n’a pas demandé la tête de Delphine Batho :
Ainsi, c’est le cas du PDG de Total, Christophe de Margerie, qui se veut rassurant sur le lobbying. En tout cas, pas lui. “Quant à des lobbies qui seraient intervenus, en tout cas moi pas. Parler de lobby pour faire partir un ministre, ça me paraît vraiment probablement déplacé, et surtout inexistant”.

Des syndicats patronaux opposés à opinion des français sur les dossiers des gaz de schiste, du nucléaire, des OGM, de la biodiversité, des transports…

Ce qui n’empêche pas les patrons de donner leurs avis sur les sujets de l’écologie :
Pierre Gattaz, nouveau patron du Medef, s’exprime sur le limogeage de Batho et les gaz de schiste au Grand Jury RTL du 7 juillet 2013. (Crédit : Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI)
Pierre Gattaz s’exprime sur le la fiscalité écologique et le nucléaire au Grand Jury RTL du 7 juillet 2013. (Crédit : Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI)
Pour Pierre Gattaz, et donc pour le MEDEF :
  • Oui au gaz de schiste. il faut passer à l’étape 1. (puis les étapes 2, 3, et 4). “Il faut faire confiance dans la science, les technologies, la recherche […] Il est bien évident que si nous devons polluer massivement l’environnement il ne faudra surtout pas le faire”
  • Non à la fiscalité écologique, c’est non. “On est submergés par les taxes. Il faut être sérieux à un moment.”
  • Oui au nucléaire. Il ne faut pas fermer Fessenheim.
Des avis bien tranchés, qui ne sont pas forcément ceux de la majorité de la population. Les entreprises doivent participer au débat, bien entendu. Mais le lobbying doit-il accompagner, ou co-conduire une politique qui concerne d’abord l’intérêt général et toute la population ? C’est la population qui a mis ce gouvernement en place. Et la population souhaite majoritairement sortir du nucléaire, ne pas procéder à l’exploitation des gas de schiste dont on constate les dégâts, et refuse les OGM.
Y a-t-il eu intervention, le patron de Vallourec savait-il que la gestion dont il se plaignait était remontée en haut lieu, et a-t-il su qu’il y avait eu une prise de conscience que sa gestion posait problème en haut lieu ? Y a-t-il conflits d’intérêts ?
Je souhaite bonne chance au nouveau ministre, Philippe Martin, en souhaitant que la ligne gouvernementale sera claire sur le gaz de schiste autant que sur le nucléaire, l’efficacité énergétique et la rénovation des logements, la sauvegarde de la biodiversité. Et sur la gestion du débat sur la transition énergétique. Les ministres étant désormais prévenus qu’au nom de la cohérence gouvernementale, la sanction sera immédiate, il serait judicieux de ne pas demander la relance de l’exploration, en l’état actuel de la technologie, à laquelle le président s’est toujours dit opposé ?
Arnaud Montebourg pourra-t-il continuer de dire (ce qui m’a bien fait rigoler) : “Et après ça, tu fais chier la terre entière avec ton aéroport de Notre-Dame-des-Landes, dont tout le monde se fout ! Tu gères la France comme le conseil municipal de Nantes !” ?
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