politique spectacle

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Coluche, 10 mai 1981 : c’est l’histoire d’un mec qui avait voulu être président…

On s'apprête à commémorer le 10 mai 1981, le trentième anniversaire de l'élection de François Mitterrand. Dieu, ou Tonton, comme l'appellent les tontonmaniaques qui le vénèrent encore, et qui iront encore honorer sa mémoire le 10 mai prochain, avait réussi à faire l'union de la gauche, à écarter la concurrence, et à mettre la gauche au pouvoir pour deux septennats. Toute la gauche ? Il a eu le talent de rassembler les forces de gauche, de rallier les partis frères, avant de les réduire façon peau de chagrin, et d'installer le PS, parti hégémonique à gauche, dans les ors et les couloirs de la République.
Oh ! Ils ont fait peur au début, et moult bourgeois ont dû fuir dans des berlines bardées de lingots vers les coffres-forts helvètes.
Il y a eu Mitterrand
Les fermes n'ont pas été collectivisées, les chars russes n'ont pas défilé aux portes de Paris. Il y a eu l'abolition de la peine de mort, les 39h hebdomadaires, la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés, les nationalisations. Honnies à droite, mais largement indemnisées, les nationalisations permettront de se refaire un peu de gras au cours des privatisations qui s'ensuivront. Et puis il y aura la lutte contre l'inflation, l'annonce de la pause à l’annonce des réformes, puis l'annonce des efforts à faire, et enfin le terme de rigueur s'imposera pour la première fois dans le langage politique français. L'austérité qui s'installe durablement. Le chômage qui augmente, les dévaluations. La France et les socialistes découvrent et s'ouvrent à la mondialisation, la France apprendra la désindustrialisation. Et Mitterrand et Kohl continueront la construction européenne.
Il y a eu la passation de pouvoir à tous les niveaux : industrie, finance, politique extérieure, sécurité, immigration, le PS a su évoluer dans le monde en évolution, pragmatiquement. On a fait la guerre pour de bonnes raisons, et merde à Jaurès. Les guerres qu'on a menées, on les a conduites au nom de la liberté, de la civilisation, dans l'esprit républicain, dans la laïcité, dans l'intérêt de la nation.
L'esprit de progrès est resté, il est même une des constituantes du socialisme. Progrès social et machinisme vont de paire. Alors nous avons accentué nos efforts dans le nucléaire, jusqu'à l'absurde. Nous avons continué à défendre les pesticides, amiante, nous avons su conserver les chars, les avions, et les mines, et les grenades françaises. Mais malgré le progrès, le chômage reste une plaie béante de notre société.
Mitterrand avait été l'homme de l'ombre et du secret. Il y a eu les écoutes élyséennes, le Rainbow Warrior coulé par la DGSE. Et puis viendra la polémique sur son passé à Vichy, ses relations avec Bousquet.
Il y a eu d'autres polémiques, concernant ses proches, et aussi son cancer caché. Ce qui est une leçon de l'Histoire. Il sera très difficile pour un président de cacher son état de santé dorénavant. La politique a évolué, le journalisme aussi. Le secret et l'auto-censure au nom de la raison d'Etat on changé avec les mœurs. Et tout fuite si vite avec internet.
Mitterrand avait été le candidat des socialistes, il sera LE président. Il a lié son destin à celui de la République, les socialistes à celui DU président.
Il a été le président de la gauche, puis le président de la France, une image drapée dans la dignité et les ors de la République. Deux jours après l'allocution de fin de mandat de Giscard d'Estaing, et de sa sortie qui se voulait emplie de noblesse, mais qui passa pour hautaine, François Mitterrand avait été déposer une rose sur la tombe de Jaurès, de Jean Moulin et de Victor Schoelcher au panthéon, dans un souci d'apparat, dans un geste emprunt d'une grande théâtralité. Mitterrand a rétabli la garde républicaine, dissoute par Giscard, qui escortait le chef d'Etat en grande pompe et équipage rutilant, et s'il a été décrié en son temps, il est apparu, surtout depuis sa disparition, comme l'incarnation du chef d'Etat. Le faste est royal. Son successeur sera plus populaire, mais les français peuvent-ils comprendre qu'un président se fasse photographier en slip kangourou au fort de Brégançon ? Le roi est nu, le peuple est déçu, le roi est déchu. Son vizir prendra sa place. Mais les français aiment les rois, pas les vizirs.
Le parti socialiste a réussi à se débarrasser de son image sulfureuse. Il n'effraie plus les bourgeois aujourd'hui. Bien avant la droite bling-bling, il y a eu la gauche caviar. Au prix d'un pragmatisme et au bénéfice de la realpolitik, le PS a fait sa mutation libérale. On a eu la "tonton génération", la "bof génération", la "lol génératiion", où on est obligé d'être ptdr. Et Mitterrand reste encore l'icône du socialisme de notre Vième République, il est la nostalgie des membres de son parti, la nostalgie du temps où ils avaient le pouvoir.
Mitterrand reste aussi dans le souvenir des français comme l'incarnation d'un chef d'Etat, au service de l'Etat, qu'il a mis à son service.
Notre société a évolué, elle est totalement mondialisée. La Vième s'est essoufflée, elle ne correspond plus aux attentes, elle ne fait ni rêver, ni même se déplacer jusqu'aux urnes. Il faut changer, moderniser, rêver encore...

Et il y a eu Coluche.

Je me souviens d'un mec, affublé d'un nez rouge. Le 30 octobre 1980, il se présente aux élections présidentielles de 1981. "Le seul candidat qui n'a pas de raison de mentir". Il sera le candidat des exclus, des marginaux, des minorités, de toutes celles et de tous ceux dont la politique ne s'occupe pas.
Coluche avait voulu mettre un pied au cul de la politique spectacle. Coluche avant-gardiste ? Activiste bouffon ? Il a déstabilisé pendant quelques mois une mise en scène bien préparée. Et puis PAF ! 16% des intentions de vote ! C'est un gros coup de pied dans les reins ça.
Il y a Mitterrand, à qui il fait peur, de façon justifiée. D'abord à 16%, les projections mettront un Coluche à 12,5 % des intentions de vote, contre 18 % pour Mitterrand, et 32 % pour Giscard. Cela mettait Mitterrand dans une situation difficile pour le second tour.
Et puis il y a le président Giscard d'Estaing. Coluche lui taille quotidiennement des costards sur mesure, et il ravage son image sous les rires et les applaudissements des petits comme des grands.
Loin de rire des bouffonneries de Coluche, l'Elysée demandera l'interdiction d'antenne du dangereux comique. Le candidat à la présidence de la République est interdit du PAF, censuré, mais Coluche résiste. Alors la surveillance, les pressions et les menaces vont s'intensifier contre le candidat. Sous la pression continue, après la mort de son collaborateur, René Gorlin, Coluche renonce à l'élection. Il retire sa candidature le 6 avril 1981, "déçu de ses droits civiques".
Plus drôle qu'un Zemmour (enfin, drôle quoi), il rêvait de fraternité, d'égalité et de liberté. Il pensait que le système était orienté bizarrement, et croyait que tout le système pouvait être horizontalisé, plutôt qu'obliquement pyramidalisé, ou que verticalisé.
Le mec tout en haut est un citoyen comme moi, et le mec tout en bas est aussi un frère ! Alors, il a appelé... rappelé :
"J'appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques, à voter pour moi, à s'inscrire dans leurs mairies et à colporter la nouvelle."
Pour les présidentielles, l’État, l'Elysée, les média lui ont fait fermer sa gueule. Il s'est ressaisi. Il a fait les restos du cœur. Il a fait devenir possible la loi Coluche. Il a mis son nom dans l'histoire, avec un petit h : l'histoire d'un mec. Des mecs comme ça, qu'est-ce qu'on aimerait bien rigoler encore avec eux.
Coluche n'a pas fait son entrée au Panthéon, il ne figurera peut-être pas grand chose dans les livres d'histoire.
Mitterrand, certains lui voueront encore un culte ce soir. On le honnira encore. On se louera de lui. On l'aura croisé, on lui aura serré la main, ou croisé son chemin. On s'en rappellera. Et on se drapera dans ses oripeaux.
Coluche, on l'a aimé, on l'aime encore. Et à cause de tout cet amour, on le regrette. Sans se préoccuper de la couleur de peau, du niveau d'étude ou des CSP, il nous a dit : aujourd'hui, on n'a plus le droit, ni d'avoir faim, ni d'avoir froid. Et si c'était ça la gauche ?
Mais alors, qu'est-ce qu'on regrette de plus se fendre la poire avec ce copain. Tiens, bah ce soir, j'irai boire une bière à ta santé, avec des potes. En souvenir d'un 10 mai qui ne sera jamais arrivé ;)
Merci mon pote, putain d'camion !

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