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Qu’est-ce que le care ?

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Vous connaissez le care ? C’est ce qui a valu des moqueries à Martine Aubry au printemps dernier, grossièrement caricaturé comme « nunucherie américaine », « considérations pseudo-philosophiques » ou encore « maternalisme réactionnaire » – par le journaliste Jean-Michel Aphatie, le philosophe Michel Onfray, mais aussi des collègues masculins du PS comme Manuel Valls ou Jack Lang… Plus habilement, à droite, on a préféré envoyer une femme en la personne de Nathalie Kosciusko-Morizet : “Rien de nouveau sous le soleil, sinon le retour à un discours de l’assistanat social et des bons sentiments, dont je doute qu’il rende justice aux femmes”.

Care : qu’y a-t-il exactement derrière ces 4 lettres ?

Le mot care, très courant en anglais, est à la fois un verbe qui signifie « s’occuper de », « faire attention », « prendre soin », « se soucier de », et un nom qui, selon le contexte, peut être traduit par « soins », « attention », « sollicitude ». Sous la forme négative – I don’t care –, il indique une indifférence, un refus de responsabilité : je m’en fiche, ça ne me concerne pas ! Mais aucune de ces traductions prises isolément ne traduit parfaitement l’idée de care, qui renouvelle profondément depuis une vingtaine d’années les façons de penser l’éthique, le politique, et pourquoi pas l’économie…
Le concept de care vient effectivement du mouvement féministe américain des années 1960. En 1982, dans son livre In a Différent Voice, l’universitaire Carol Giligan définit le care comme une forme de “moralité des femmes”, centrée autour du soin donné aux autres, qu’elle souhaitait enseigner à l’ensemble de la société et aux hommes.
La théorie de C. Gilligan a fait l’objet de débats passionnés. Elle a été qualifiée de “différentialiste” – y compris dans les milieux féministes -, parce qu’elle soutiendrait qu’il y aurait une nature féminine différente de celle des hommes, en valorisant des « vertus » attachées aux stéréotypes féminins – l’amour, la compassion, la sollicitude, le souci d’autrui… Ces débats mèneront ensuite à de nouvelles compréhensions du care.
La notion a notamment été modernisée en 1993 par une autre universitaire américaine, Joan Tronto, dans son livre Un monde vulnérable, pour une politique du care. Joan Tronto a voulu sortir la notion de care de la sphère du “genre” pour la replacer dans la sphère de l’éthique et de la politique.
Elle s’appuie sur une analyse des conditions historiques qui ont favorisé une division du travail cantonnant les activités de soins dans la sphère domestique, traditionnellement réservée aux femmes, et donc exclues de la sphère publique et socialement dévalorisées. Il s’agit de toutes ces activités humaines ignorées, sous-estimées voire méprisées parce que privées, intimes, quotidiennes, banales, sans importance ou encore « sales » : soins aux enfants, aux malades, aux personnes dépendantes, mais aussi ménage, traitement des déchets, bref tout ce qui concourt à rendre notre monde vivable. “Prises en considération, ces activités se révèlent centrales et il apparaît que leur invisibilité ou leur discrétion est aussi le lot de ceux, et surtout de celles, femmes, étrangères, travailleurs des classes pauvres, qui les effectuent.” (source : Delphine Moreau, De qui se soucie-t-on ? Le care comme perspective politique)
Prendre la mesure de l’importance du care pour la vie humaine suppose de reconnaître que la dépendance et la vulnérabilité sont des traits de la condition de tout un chacun. Brisant l’image monolithique et fausse d’une société constituée d’adultes compétents, égaux, autonomes et en bonne santé, l’éthique du care nous pousse à reconnaître que tous, à différents moments de notre vie, nous avons été, nous sommes ou nous serons dépendants des autres : lorsque nous avons été enfants, lorsque nous serons vieux, lorsque nous tombons malade, lorsque quelqu’un prend en charge nos enfants, nettoie, traite nos déchets ou nous permet de nous déplacer… Collectivement, nous sommes tous interdépendants. “L’autonomie” n’est qu’un mythe politique, accouplée aux péjoratifs “assistanat” et “dépendance”…
Ces services dont nous bénéficions tous à différents moments doivent être pris en charge collectivement : les cantonner dans la sphère privée du travail gratuit est un déni de responsabilité. L’accueil des jeunes enfants, l’accompagnement du handicap, de la maladie, de la vieillesse, sont des responsabilités collectives, qui font qu’une société se porte bien, dans le respect de la dignité de chacun. Cela correspond d’ailleurs à la définition que l’OMS, l’Organisation Mondiale de la Santé, donne de la santé elle-même, comme “état de complet bien-être physique, mental et social”.
On pourrait y ajouter “environnemental” : Joan Tronto définit le care comme « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre « monde » de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos corps, nous-mêmes et notre environnement, tous les éléments que nous cherchons à relier en un réseau complexe en soutien à la vie ». Ne croirait-on pas une très belle définition de l’écologie ?

Laetitia Sanchez
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déjà 4 commentaires pour cet article

  1. Déc 2010
    12
    20 h 54

    Merci pour cet éclairage

    Châteaugiron Gilles

  2. Déc 2010
    12
    23 h 29

    Merci @Gilles et @Nathalie (rhoo, tu vas me faire rougir ;-)

    laetitia

  3. Déc 2010
    13
    9 h 31

    merci , dés le matin un article ,ça mets en forme dominique

    dominique retureau dandin

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