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Simone de Beauvoir : La Vieillesse (1970)

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Profitant des vacances pour relire l’adaptation théâtrale faite par Jean-Claude Carrière du scénario américain d’Harold et Maude en 1971 (une apologie de la liberté et de la contestation pacifique et joyeuse : à lire ou à relire !), je suis tombée sur un extrait, tellement moderne et pertinent, de La Vieillesse de Simone de Beauvoir :
“Quand Bouddha était encore le prince Siddharta, enfermé par son père dans un magnifique palais, il s’en échappa plusieurs fois pour se promener en voiture dans les environs. A sa première sortie il rencontra un homme infirme, édenté, tout ridé, chenu, courbé, appuyé sur une canne, bredouillant et tremblant. Il s’étonna et le cocher lui expliqua ce que c’est qu’un vieillard : « Quel malheur, s’écria le prince, que les êtres faibles et ignorants, grisés par l’orgueil propre à la jeunesse, ne voient pas la vieillesse ! Retournons vite à la maison. A quoi bon les jeux et les joies puisque je suis la demeure de la future vieillesse. »
Bouddha a reconnu dans un vieillard son propre destin parce que, né pour sauver les hommes, il a voulu assumer la totalité de leur condition. En cela il différait d’eux : ils en éludent les aspects qui leur déplaisent. Et singulièrement la vieillesse. L’Amérique a rayé de son vocabulaire le mot mort : on parle de cher disparu ; de même elle évite toute référence au grand âge. Dans la France d’aujourd’hui, c’est aussi un sujet interdit. […] Les mythes et les clichés mis en circulation par la pensée bourgeoise s’attachent à montrer dans le vieillard un autre. (…) Si les vieillards manifestent les mêmes désirs, les mêmes sentiments, les mêmes revendications que les jeunes, ils scandalisent ; chez eux l’amour, la jalousie semblent odieux ou ridicules, la sexualité répugnante, la violence dérisoire. Ils doivent donner l’exemple de toutes les vertus. Avant tout on réclame d’eux la sérénité ; on affirme qu’ils la possèdent, ce qui autorise à se désintéresser de leur malheur. L’image sublimée qu’on leur propose d’eux-mêmes, c’est celle du Sage auréolé de cheveux blancs, riche d’expérience et vénérable, qui domine de très haut la condition humaine ; s’ils s’en écartent, alors ils tombent en dessous ; l’image qui s’oppose à la première, c’est celle du vieux fou qui radote et extravague et dont les enfants se moquent. De toute façon, par leur vertu ou par leur abjection ils se situent hors de l’humanité. On peut donc sans scrupule leur refuser ce minimum qui est jugé nécessaire pour mener une vie d’homme.
(…)
Au jour venu, et déjà quand on s’en rapproche, on préfère d’ordinaire la vieillesse à la mort.
Cependant, à distance, c’est celle-ci que nous considérons le plus lucidement. Elle fait partie de nos possibilités immédiates, à tout âge elle nous menace ; il nous arrive de la frôler ; souvent nous en avons peur. Tandis qu’on ne devient pas vieux en un instant : jeunes, ou dans la force de l’âge, nous ne pensons pas, comme Bouddha, être déjà habités par notre future vieillesse : elle est séparée de nous par un temps si long qu’il se confond à nos yeux avec l’éternité ; ce lointain avenir nous paraît irréel. Et puis les morts ne sont rien ; on peut éprouver un vertige métaphysique devant ce néant, mais d’une certaine manière il rassure, il ne pose pas de problème. « Je ne serai plus » : je garde mon identité dans cette disparition1. A 20 ans, à 40 ans, me penser vieille, c’est me penser autre. Il y a quelque chose d’effrayant dans toute métamorphose. J’étais stupéfaite, enfant, et même angoissée quand je réalisais qu’un jour je me changerais en grande personne. Mais le désir de demeurer soi-même est généralement compensé dans le jeune âge par les considérables avantages du statut d’adulte. Tandis que la vieillesse apparaît comme une disgrâce : même chez les gens qu’on estime bien conservés, la déchéance physique qu’elle entraîne saute aux yeux. Car l’espèce humaine est celle où les changements dus aux années sont les plus spectaculaires. Les animaux s’efflanquent, s’affaiblissent, ils ne se métamorphosent pas. Nous, si. On a le cœur serré quand à côté d’une belle jeune femme on aperçoit son reflet dans le miroir des années futures : sa mère. (…) Devant l’image que les vieilles gens nous proposent de notre avenir, nous demeurons incrédules ; une voix en nous murmure absurdement que ça ne nous arrivera pas : ce ne sera plus nous quand ça arrivera. Avant qu’elle ne fonde sur nous, la vieillesse est une chose qui ne concerne que les autres. Ainsi peut-on comprendre que la société réussisse à nous détourner de voir dans les vieilles gens nos semblables.
Cessons de tricher ; le sens de notre vie est en question dans l’avenir qui nous attend ; nous ne savons pas qui nous sommes, si nous ignorons qui nous serons : ce vieil homme, cette vieille femme, reconnaissons-nous en eux. Il le faut si nous voulons assumer dans sa totalité notre condition humaine. Du coup, nous n’accepterons plus avec indifférence le malheur du dernier âge, nous nous sentirons concernés : nous le sommes.”

Laetitia Sanchez
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  1. Mar 2015
    15
    17 h 38

    Bonjour et grand merci pour votre publication. Je suis assistant social en fin de formation à l’Ecole Nationale de Formation Sociale (ENFS) de Lomé et actuellement je prépare mon mémoire de fin de cycle dont le thème est: Contribution des structures privées dans la protection et la prise en charge des personnes âgées au Togo. Cas de la Fondation Di Valgo Jezz à Lomé. J’étais à la recherche des informations relatives au thème quand je suis tombé sur votre publication, certes je n’ai pas trouvé le livre mais ce résumé que vous avez publié m’a beaucoup intéressé et je compte me servir de certaines parties dans mon mémoire. Une fois encore merci à vous. Dieudonné!

    Yao PALAKI

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