Désengorger Rouen et améliorer la qualité de la vie des rouennais, en détournant 85% du trafic des poids lourds en transit.
C’est tout simplement impossible. Les comptages sur le trafic de transit réalisés par les services de l’équipement (CETE) parlent d’eux-mêmes :
90% des flux de transit vont à l’OUEST. Le trafic de transit qui passe à l’EST n’est que de 1983 véhicules (VL + PL).
Les flux de transit ne vont pas sur un axe nord-sud dans sa quasi-totalité, mais vers l’ouest, l’A13, le Havre, ou l’a28 et la RD438, qui longe gratuitement l’A28 et qui est empruntée par les camions, vers le sud. Et vers Paris.
Veut-on réaliser une infrastructure à plus d’1 milliard d’euros pour seulement 1983 véhicules/jour ? Dans l’allégresse, en ajoutant les trafics de transit qui vont au nord-ouest (A150 – Barentin – et A151), cela représenterait un trafic de 3598 véhicules VL + PL. Cela ne représente que 0,36% du trafic global de l’agglomération.
En détournant tout le trafic de transit entre l’A13 à l’est et l’A28 au nord, l’a154 et l’A28, et tout le trafic allant vers l’A150 et l’A151, cela ne désengorgerait Rouen que de 0,35% du trafic.
C’est très peu.
Mais… pourquoi parler d’engorgement supplémentaire de Rouen du fait de cette autoroute ?
Quelles sont les conclusions que fait la Direction Régionale de l’Equipement sur la rentabilité interne de l’ouvrage A28 Rouen-Abbeville dans son évaluation socio-économique :
“Ces premiers résultats laissent déjà présager un des effets de l’infrastructure sur l’étalement urbain : celui-ci s’étend bien au-delà de ce qui était pressenti dans les études préalables de l’autoroute, jusqu’à plus de 30 km du pôle urbain de Rouen.
Par ailleurs et toutes proportions gardées, l’impact sur l’agglomération d’Abbeville a été similaire.
En outre, les effets de cet étalement urbain sur les trafics sont plus que proportionnels : dans des zones où l’étude démographique ne met en évidence que des croissances de population de l’ordre de 10 à 15 % entre 1990 et 1999, les augmentations de circulation dépassent les 30 voire 50 %, soit 3 à 4 fois plus ! Un ménage supplémentaire en périphérie urbaine, c’est bien plus qu’un déplacement quotidien aller-retour en voiture individuelle de plus, mais plutôt 3 à 4…
[…]
Une péri-urbanisation massive n’a pour ainsi dire pas été anticipée. Pourtant, force est de constater aujourd’hui que la fonction principale de l’autoroute est de faciliter les échanges quotidiens entre les agglomérations de Rouen et à une moindre mesure Abbeville et les communes résidentielles périphériques.
L’A28 a joué un rôle de catalyseur de l’étalement urbain pour ces agglomérations, ce qui n’est pas la vocation principale d’une autoroute.”
Oui, Rouen sera plus engorgée encore.
Et ce n’est pas avec un échangeur qui débouche à Oissel sur la jonction entre la RD18e et la RD418 que la situation de Rouen va s’améliorer : la RD418 emmène les véhicules vers la SUD3, avec les mêmes problèmes de circulation qu’aujourd’hui (un aménagement manquant au pont Flaubert et des véhicules qui se “cognent” sur l’avenue Jean Rondeaux), tandis que la RD18e, la zone industrielle, congestionnée elle aussi, conduira les véhicules vers… le pont Mathilde ! CQFD
L’autre objectif, c’est la création d’emplois par la création de zones d’activité.
Mais les zones d’activité ne créent pas d’emplois. Au mieux, elles les relocalisent. Parfois à quelques km seulement.
L’avis du Conseil Général des Ponts et Chaussées sur le bilan loti de l’autoroute A28 est des plus intéressants :
“Les collectivités ont eu la volonté d’accompagner la réalisation progressive de l’infrastructure, ce qui s’est traduit par l’aménagement de nombreuses zones d’activités économiques. Ces zones d’activités, qui conservent aujourd’hui encore d’importantes réserves foncières, ont accueilli un nombre croissant d’établissements, ce qui paraît répondre aux objectifs des collectivités. Ce point est cependant tempéré par les entretiens menés avec les acteurs locaux qui, sauf dans les secteurs au dynamisme économique déjà bien avéré, évoquent plutôt un effet de relocalisation que de création nette d’activité.“
La Direction Régionale de l’Equipement Haute-Normandie explique dans son évaluation socio-économique de l’A28 :
“Si le succès commercial de ces opérations montre qu’elles répondent à un réel besoin des entreprises, on peut être plus circonspect quant à leur impact réel sur l’emploi : presque toutes ces entreprises étaient déjà présentes dans la région, parfois à seulement quelques kilomètres de là ; ce ne sont souvent que des re-localisations sans création significative d’emplois supplémentaires ; mais, elles s’accompagnent souvent d’une amélioration des conditions de production (modernisation, regroupement d’établissements éparpillés, optimisation des process, élargissement du bassin de clientèle, etc.) qui a peut-être à terme un effet positif sur l’emploi (développement ou, au moins, préservation des entreprises par amélioration de leur compétitivité) qu’il est difficile de mesurer.“
Ne parlons pas de créations d’emplois nets, donc, mais évoquons des relocalisations, parfois à quelques km. Les autoroutes sont aussi parfois de murs qui coupent les entreprises de leurs clients lorsqu’il n’y a plus d’accès à “l’autre côté”.
Qu’en dit Françoise Guillotin, Vice-Présidente de la CREA, lors de la réunion de concertation d’Alizay :
“Effectivement, l’infrastructure en elle-même n’est pas l’outil qui va permettre de développer des emplois. Mais c’est un outil nécessaire au territoire pour permettre aux entreprises d’avoir aussi des facilités d’accès à leurs entreprises pour pouvoir justement permettre les embauches nécessaires à la vie du territoire.”
Pas d’emplois donc, mais l’autoroute permettrait des facilités d’accès pour les entreprises. Et ce sont les contribuables et habitants (consommateurs ?) qui paieraient.
Bernard Leroy, président de la CASE, reprend le cas “très intéressant” de l’A28 :
“l’exemple de l’A28 est très intéressant : ce n’est pas parce qu’on fait des échangeurs qu’on a automatiquement des entreprises. C’est nécessaire, mais c’est pas suffisant. Il faut une véritable politique de développement économique, une politique d’attraction du territoire, pour faire venir des entreprises, pour faire venir des emplois.”
Ainsi donc, les élus seino-marins, les CCi et entreprises de Seine-Maritime n’auraient pas de véritable politique de développement économique ?
Ne souhaitent-ils pas rendre leur “territoire” attractif ?
N’ont-ils pas compris que ce que voulait la population, c’est des solutions contre le chômage ?
Ou bien, comme le dit l’équipement, les zones d’activité ne créent pas d’emplois, mais relocalisent l’activité, certes dans des équipements plus modernes, mais créant de nouvelles friches industrielles, parfois à seulement quelques km ?
La destination des camions des plateformes logistiques restera l’est, Paris, d’un côté, et le Havre et le port 2000 de l’autre.
L’A13 donc…
Pour les CCI, et nombre d’élus, le contournement Est de Rouen, c’est le (début du) Grand Contournement Ouest de Paris.
Le Grand Contournement de Paris est une réalité. Il existe, mais il ne semble pas suffisant pour les chambres de commerce, les concessionnaires autoroutiers, et autres aménageurs de zones d’activité.
Les mêmes qui promouvaient hier l’A28 comme axe Calais-Bayonne n’y trouvent plus que peu d’intérêt.
Charles Revet et Ladislas Poniatowsky, tous deux sénateurs aujourd’hui, mais à l’époque Président du Conseil Général de Seine-Maritime pour l’un, et député de l’Eure pour l’autre, conduisaient une opération escargot pour manifester pour l’A28, l’axe Calais-Bayonne, aujourd’hui réalisée.
Il manque un aménagement à l’ouest de Rouen pour relier les tronçons nord et sud de l’A28. Car, selon les propres dires du maître d’ouvrage de la liaison A28-A13, cette liaison à l’est n’aurait pas vocation à accueillir le trafic A28 nord-A28 sud. Il passe à l’ouest.
Mais le trafic de l’autoroute est un échec, surtout entre Rouen et Alençon, qui ne compte que 5 000 à 10 000 véhicules/jour.
Si l’on regarde les comptages de camions réalisés par le Conseil Général de l’Orne (2013), le trafic qui échappe à l’autoroute se retrouve sur la RD438 qui longe l’A28. Ce sont plus de 800 poids lourds/jour qui préfèrent emprunter la départementale, et ce jusqu’à Alençon.
Il ne s’agit pas d’un échec de la liaison, à proprement parler, mais d’un déport vers la départementale du fait du prix trop élevé de l’autoroute.
Un déport évidemment dangereux pour les riverains et les usagers.
Mais, sans taxe poids lourd (écotaxe), avec une taxe à l’essieu au plus bas, comment obliger les camions à emprunter l’autoroute ?
Dans une motion pour le contournement est de Rouen, l’association pour le contournement réclame :
“La traversée de l’agglomération rouennaise reste aujourd’hui le seul goulet d’étranglement de l’axe autoroutier Nord – Sud-Ouest européen reliant Stockholm à Gibraltar et plus localement du Grand contournement du bassin parisien.”
l’axe autoroutier Nord – Sud-Ouest européen reliant Stockholm à Gibraltar, rien que ça. Et pourquoi pas un ouvrage d’art reliant les colonnes de Gibraltar pour en faire l’axe autoroutier Stockolm – Côte-d’Ivoire ?
Plus sérieusement, mais retoqué par la commission mobilité 21 dans le SNIT, refusé également par la population qui ne veut pas transformer la RN154 en autoroute payante A154, le contournement ouest de Paris est un schéma qui existe depuis les années 60. Qu’est ce que c’est ?
On le voit, ce n’est pas un contournement est de Rouen que voient les CCI et autres partisans, mais la première marche de l’édifice qu’est la réalisation du “barreau manquant” : l’A154.
Les visions de l’aménagement ont changé depuis 1960. Comme l’a rappelé Michel Barnier, député européen UMP, commissaire européen au marché intérieur et aux services :
“Elle ne sera pas belle la France de 2015, si c’est la France du tout béton et du tout autoroutes.”
Et si l’on continue de vouloir faire payer les autoroutes, à des usagers, à des routiers qui préfèrent emprunter les départementales, elle sera surtout beaucoup plus dangereuse.
Ce sera peut-être l’occasion de faire du business, de créer aussi des zones d’activité qui créeront peut-être de l’emploi, ou le relocalisera.
Mais si c’était le cas, étant donné le nombre de concessions qui ont été cédées au privé (85% du réseau), et le nombre de routes créées, nous aurions sûrement du en constater les effets bénéfiques par l’inversion de la courbe du chômage.
Et si les autoroutes ne créaient pas d’emplois ?
Documentation et rapports :
nono
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