Depuis la décision de Claude Allègre, Ministre de l'Education Nationale et visionnaire écologiste, de "dégraisser le mammouth", l'école a connu une longue litanie de chiffres révisant à la baisse les ambitions de notre école.
De 2002 à 2007, les effectifs ont été revus à la baisse de 23.200 postes. Mais depuis, nous assistons à une accélération de la cadence : en 2007, c'est 8.700 postes supprimés, en 2008, 11.200 suppressions, en 2009, on passe à 13.500 suppressions de postes, et en 2010 c'est déjà 16.000 suppressions de postes...
Et là, on remet le couvert pour 16.000 nouvelles suppressions !
Les chiffres donnent le tournis : près de 66.000 postes ont disparu depuis 2007. Mais si jusqu'à présent, on justifiait ces réductions par des baisses d'effectifs, cette année les effectifs sont à la hausse : on attend 8.900 nouveaux élèves dans le primaire, et 48.500 élèves dans le secondaire.
Pour accueillir ces 57.400 nouveaux élèves, on supprimera 8.967 postes dans le primaire, et 5.400 postes seront supprimés dans le secondaire, dont 4.800 enseignants. Un poste par élève dans le primaire, et un poste pour 10 nouveaux élèves dans le secondaire.
Si la liste des suppressions de postes d'enseignants par département n'a pas encore été dévoilée, une liste par académie a tout de même été communiquée :
Luc Chatel, lors de sa prise de fonctions au Ministère de l'Education Nationale, avait estimé que "ce ministère, c'est aussi le ministère de l'avenir. Un pays qui croit dans l'avenir, c'est un pays qui investit dans l'éducation de ses enfants".
Le même ministre, en mai 2010, cherchait à quantifier "les marges de manoeuvre" locales sur la période 2011-2013 (source :
le Monde). Et les académies ont été chargées de réfléchir aux leviers possibles, en indiquant des pistes :
augmentation de la taille des classes,
réduction de la scolarisation des petits,
meilleure organisation des remplacements, et
suppression de postes d'assistants. Selon le ministre : "
La question des moyens n'est pas la réponse aux problèmes de l'éducation nationale aujourd'hui".
Si pour Luc Chatel, "
il y a de la marge", c'est aux inspecteurs et aux recteurs qu'incomberont la tâche de couper les postes. Avec en contrepartie,
une prime allant de 15.000 € à 22.000 €, en fonction de la réalisation de leurs objectifs (source
Ouest-France).
Il peut être intéressant de superposer les cartes du territoire : Si l'on compare les académies les plus concernées par les coupes, avec d'autres cartes (source Insee), concernant le niveau de vie médian, par département, les chiffres du chômage, ou les zones à forte pression démographiques et touchées par les mutations économiques, les parents des élèves de certaines académies ont de quoi s'interroger : Les académies les plus touchées par les réductions de postes sont aussi celles qui sont le plus touchées par la pression démographique et les mutations économiques. Elles pourraient sembler au profane les cibles essentielles pour investir dans l'éducation et la formation.
Si l'on prend l'académie de Lille, une académie où le nombre d'élèves va s'accroître, cette zone est une des plus concernées par les mutations économiques. C'est en outre une des zones les plus durement touchées par le chômage, et où le niveau de vie médian est l'un des plus faibles. Et c'est une des zones les plus concernées par les coupes, avec 806 suppressions de postes.
Selon le Monde,
la France consacre déjà 15% de moyens de moins que la moyenne des pays de l'OCDE dans l'enseignement primaire. Et face à l'argumentaire ministériel qui met sur le dos des "surnombres accumulés et des enseignants qui ne sont pas devant les élèves" les coupes en 2011, ce sont bel et bien des enseignants qui assurent aujourd'hui l'enseignement qui seront concernés.
Des classes seront donc fermées dans le premier degré. (source :
le Monde).
Si la question des moyens n'est pas une réponse aux problèmes de l'éducation nationale d'aujourd'hui, qu'en est-il au niveau des résultats ?
Le critère des résultats ou celui des efforts à fournir n'a sans doute pas été prépondérant dans le choix des coupes. Parierait-on là sur l'excellence plus que sur l'universalité de l'enseignement ?
Une autre évaluation est tombée cette année : le rapport d'enquête PISA :
On peut bien sûr mettre à caution un tel programme, qui vise à unifier des acquis parfois différents d'un pays à l'autre, voire d'une culture à l'autre. Avec précaution, l'évaluation ne porte que sur la compréhension de l'écrit, la culture mathématique, et la culture scientifique. Si mathématiques et science peuvent sembler des critères parfaitement objectifs, la compréhension de l'écrit est sûrement plus difficilement quantifiable, car elle enveloppe une culture générale et une littérature qui diffèrent entre les pays évalués. Ne sont pas abordés l'histoire, l'apprentissage de la citoyenneté, l'apprentissage de l'Art et de l'histoire de l'Art, l'autonomie, la philosophie ou l'éthique. On évalue des compétences cognitives, et pas des savoir-faire ou des méthodes permettant à l'élève d'apprendre à investiguer, et découvrir... En une phrase, des auteurs de l'enquête : " L'enquête Pisa cherche à évaluer la capacité des jeunes à utiliser leurs connaissances et compétences pour relever le défi du monde réel".
Que nous apprend l'enquête PISA ? La France baisse encore dans les classements. Les précédents résultats, en 2006, et donc après une première vague de suppressions de postes, avaient montré une détérioration de la situation du système scolaire français.
En 2009, les résultats font apparaître un système éducatif dans la moyenne, en légère baisse. Mais si on peut tirer quelque chose des résultats de cette enquête, ce ne sont pas seulement les comparatifs entre pays, mais l'évolution de notre propre système éducatif.
L’écart se creuse entre les très bons et les très mauvais élèves. Les élèves moyens sont de moins en moins nombreux.
[...] En « compréhension de l’écrit », la proportion de jeunes en grande difficulté scolaire et qui ont peu de chance d’aller jusqu’au bac, est passée de 15 à 20 % entre 2000 et 2009.
[...] Les performances en maths ont également diminué de façon inquiétante depuis 2000. La France passe du groupe des pays forts à celui des pays dans la moyenne. S’il y a 10 ans, elle était au-dessus de l’Allemagne, la Pologne et le Portugal, elle est aujourd’hui au même niveau.
[...] Il ne faut pas chercher forcément à copier un modèle d’éducation [...] En revanche, tous ceux qui réussissent bien sont ceux qui luttent contre l’échec scolaire. Cela passe par un enseignement en petit groupe en Finlande, du soutien aux Pays-Bas. En France, on a choisi de faire redoubler les élèves. Ce n’est pas une bonne solution.
[...] L’accès à l’éducation le plus tôt possible favorise les résultats à 15 ans.
Pour améliorer notre classement, Luc Chatel a annoncé la présentation d'un plan Sciences en janvier 2011 pour "inspirer les élèves".
Pour lutter contre l'échec scolaire, Luc Chatel préconise "les mesures en cours ou à venir destinées à améliorer la situation" : "refonte des programmes du primaire,
plan illettrisme, aide et accompagnement personnalisés de l’école au lycée,
programme CLAIR, autonomie des établissements,..."
Je doute que l'on puisse favoriser une aide et un accompagnement personnalisés, de l'école au lycée, en supprimant, en masse, les enseignants et les classes. Tout ceci pourrait ne figurer que voeux pieux, destinés à faire avaler une pilule amère à la fois en qualité d'enseignement qu'en qualité de vie pour les élèves (les fermetures de classes auront des répercussions sur le nombre d'élèves en classe, et sur les transports, et l'allongement de la journée scolaire, transports compris, qui en découlera).
Je vous laisse lire les conclusions de Philippe Meirieu sur l'enquête PISA, des conclusions bien plus intelligentes que ce que je viens de vous en dire, avec une approche de "l'éducation basée sur la culture, et pas seulement les compétences, de l'émancipation, et pas seulement de l'évaluation, de la solidarité et pas de la concurrence effrénée. [il] milite pour une école qui apprenne à penser".
Le risque que nous encourrons, en ne se référant qu'à ces seuls indicateurs (l'enquête PISA), c'est que nous serons capables de transformer notre école en boîte à Pisa, comme nous avions transformé le lycée en boîte à bac.
Et le ministère aura beau jeu d'adapter notre système pour lui donner les moyens de s'adapter à ces critères pour justifier une véritable casse de tout notre système éducatif. Le système éducatif, l'école, c'est le présent. C'est l'avenir aussi. Nous avons notre identité propre, et nous revendiquons une identité commune, basée sur les valeurs que nous apprenons, pas seulement des compétences, et nous savons tous que nous sommes un peuple, que nous avons une particularité, une vocation, une ambition, un langage, une culture, remaniée sans cesse, et des différences que nous défendons tous ensemble, et que nous partageons ensuite.
Nos enfants sont sous notre responsabilité, et nous sommes confrontés à notre responsabilité.
Je rappelle les paroles du ministre, Luc Chatel : "Un pays qui croit dans l'avenir, c'est un pays qui investit dans l'éducation de ses enfants".
A peine nés, ils sont endettés. C'est une dette qu'ils n'ont pas contractée. Au moins doivent-ils profiter ce que nos prédécesseurs ont construit pour nous : l'école. Doivent-ils payer pour ce qu'ils n'ont pas fait, et payer encore dans le futur pour ce qu'ils n'auront pas eu ? D'autant que nous comptons leur demander de nous assumer après.
Stop à la casse, offrons un avenir à nos enfants.